A l’Opéra national du Rhin, Patricia Petibon incarne, sur scène comme à l’écran, l’héroïne désespérée de Poulenc dans une production inédite que signe Katie Mitchell largement inspirée par la photographie et le cinéma.
D’une durée d’une quarantaine de minutes, la tragédie lyrique en un acte composée par Francis Poulenc sur un texte de Jean Cocteau est habituellement combinée à une autre pièce lyrique d’un format similaire, ce qui donne souvent lieu à des diptyques originaux et passionnants. Dans un geste comparable à celui entrepris pour son Barbe-Bleue munichois, la metteuse en scène Katie Mitchell a choisi d’associer à l’ouvrage une œuvre purement instrumentale et d’en faire la « bande-son » d’un court-métrage tourné en complément. Tandis que le Concerto pour orchestre de Bartók s’offrait comme un prologue à l’unique opéra du même compositeur monté sous la forme d’un thriller noir, Aeriality, la planante pièce orchestrale de l’islandaise Anna Thorvaldsdottir, prolonge et parachève ici le monodrame de Poulenc avec une dense et phénoménale beauté organique. L’un et l’autre opus sont remarquablement servis par un Orchestre philharmonique de Strasbourg aux accents tour à tour nerveux et voluptueux sous la direction de la cheffe Ariane Matiakh.
Tandis que Katie Mitchell joue du naturalisme contemporain qui est sa marque de fabrique, le film réalisé par Grant Gee, un complice de longue date, chemine quant à lui vers un irréel onirique qui introduit une part d’inquiétude et d’étrangeté. Minutieusement soignée, la mise en scène fourmille de détails et met tout en œuvre pour inviter à contempler, non sans voyeurisme, à la fois poétiquement et trivialement, la solitude et le désœuvrement du personnage qui suscite une profonde empathie.
Grande interprète de Poulenc, Patricia Petibon prenait pour la première fois le rôle de La Voix humaine dans une production mise en scène par Olivier Py montée en temps de Covid au Théâtre des Champs-Élysées et uniquement présentée au public en VOD. Elle est à nouveau flamboyante dans la version strasbourgeoise. Accrochée à son téléphone portable et à un ordinateur, elle pianote compulsivement sur les écrans pour tenter de maintenir ultimement le lien avec son ancien amant, et ce malgré les interférences qui viennent perturber leur impossible communication. Elle passe de la douleur à la révolte, se montre pleine de tendresse mutine et de violence auto-destructrice, déploie une subtile et explosive variété d’émotions dont transpirent aussi bien les mots chantés-parlés que les silences de la partition.
Aussi déboussolée qu’obstinée, Patricia Petibon palpite et s’agite comme un oiseau en cage dans l’intimité oppressante d’une chambre désordonnée où s’entassent quantité de vêtements, de photos et d’objets jetés au sol puis dans un grand sac poubelle avec la ferme résolution d’en finir. Dédaignée et quittée, elle décide de sauter par la fenêtre de son logement, et tandis qu’elle gît momentanément sur le bitume de la rue, elle se relève pour renaître à elle-même, à la faveur d’une déambulation nocturne teintée d’une ambiance de fin du monde, guidée par le chien mentionné dans la pièce de Poulenc. Alors qu’on la croyait acculée et condamnée, elle s’avance, hagarde, résurrectionnelle, vers un renouveau inespéré.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
La Voix Humaine
Francis Poulenc / Anna Thorvaldsdottir
Nouvelle production de l’Opéra national du Rhin.
Direction musicale
Ariane Matiakh
Mise en scène
Katie Mitchell
Décors
Alex Eales
Costumes
Sussie Juhlin-Wallén
Lumières
James Farncombe
Réalisateur vidéo
Grant Gee
Elle
Patricia Petibon
Orchestre philharmonique de StrasbourgDurée : 1h10
Strasbourg – Opéra
du 18 au 26 février 2023Filature de Mulhouse
12 et 14 mars 2023
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