Après Wenstein, quel devenir pour l’actrice glam au cinéma ? Avec Des femmes qui nagent, Pauline Peyrade réactive en même temps les vamps de la bobine et les premiers tours de manivelle d’un girl power du septième art. Un patchwork d’images en rafales qu’Émilie Capliez transpose au plateau avec une impressionnante habileté.
La figure de l’actrice est en reconstruction. On se trouve même certainement à un point de bascule que ces femmes qui nagent tente de saisir. A mi-chemin entre la fascination rémanente pour la star – son corps lisse et sans défaut, sa manière unique de prendre la lumière et de susciter le désir – et la mise à nu de toute la violence masculine qui habite le cinéma. Ce n’est pas un hasard si le mouvement #Metoo est né des accusations à l’encontre du producteur Harvey Wenstein. Le cinéma a souvent dévoré ses créatures et le pouvoir d’oppression des hommes s’y est exercé à bien des étages. Art industriel qui façonne nos représentations autant qu’il les reproduit – c’est enfoncer une porte ouverte que de l’écrire – le cinéma a fixé sur la pellicule l’hyper sexualisation de la femme qu’il a longtemps cantonnée, dans les films comme sur les plateaux, à des rôles standardisés. (Mais peut-on employer le passé ?).
La très en vue autrice, artiste associée à la Comédie de Colmar et co-responsable du département écrivain.e.s dramaturges de l’ENSATT (Ecole Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre), Pauline Peyrade, vient de publier un très marquant premier roman aux Éditions de Minuit (L’âge de détruire). Elle a répondu pour Des femmes qui nagent à une commande que lui a passée Émilie Capliez, codirectrice de la Comédie de Colmar. La commande d’un texte amenant l’univers du cinéma au théâtre, où puisse se lire la fascination de la metteuse en scène et comédienne pour ces grandes figures d’actrices du passé, sans passer sous silence par quels rapports de force leurs statues ont été sculptées. En réponse, Pauline Peyrade lui a livré un patchwork éclaté de tableaux qui constitue comme une somme – forcément partielle et partiale – de l’histoire des femmes au cinéma. Bourrée de références disparates qu’on ne capte pas forcément. Comme, par exemple, Romy Schneider dans La Piscine, Ophélie Bau à la projection cannoise de Mektoub my love, le personnage de Jeanne Dielman de Chantal Ackerman ou Sigourney Weaver qui persiste et signe malgré l’âge à travers la saga des Alien. Une ribambelle de femmes, réelles ou fictives, qui ont pris le cinéma à des endroits différents et ont parfois su reconfigurer le rapport patriarcal qui s’y exerce sans pour autant échapper à ses écrasantes forces. Tuilant les tableaux entre eux, décalant dans le temps images du texte et images au plateau, Emilie Capliez en a fait, avec une très belle intelligence scénique, un spectacle qui a pour mérite, entre autres, de donner à entendre la langue de Peyrade, ultra dense, changeante, pleine d’images qui se succèdent à toute vitesse et de variations dans l’énonciation parfaitement rendues.
Pour cela, quatre comédiennes se relaient dans un hall de cinéma dessiné par le scénographe Alban Ho Van. Un grand et beau hall de cinéma à l’ancienne, avec pilier et hauteur sous plafond, fauteuils club, moquette rase et lourdes portes battantes à hublot qui ouvrent sur les salles obscures. Une atmosphère entre peintures de Hooper – les lumières de Kelig Le Bars y contribuent fortement – et Cinéma Paradiso, entre les États-Unis et l’Italie, ces deux pays qui ont nourri le septième art de tant de figures féminines glamour. Mais aussi une machine à jouer multipliant les possibilités d’entrées et de sorties ainsi que les espaces de représentation. Au plateau, donc, les quatre femmes se regardent. Se relaient. Se répondent. A travers des scènes et des discours qui se percutent sans répit. Casting porno, vieux film muet sur les « effets du féminisme », thriller lynchéen ou autre effets du vieillissement sur la place de la comédienne se télescopant pour finir sur un renversement de focale via un récit conduit par l’employée gérante d’un cinéma, non plus sur les femmes à l’écran mais sur celles qui viennent voir les écrans, en mode réalisme social. Ces quatre très bonnes comédiennes incarnent quatre générations différentes. Et Léa Sery, petite et métisse tranche d’avec ses aînées – Odja Llorca, Catherine Morlot et Alma Palacios – grandes femmes blanches qui ont beaucoup d’allure. Non pas que la cadette n’en ait pas, mais d’une facture différente, qui sonne comme l’arrivée d’un âge nouveau. Emilie Capliez dit avoir eu l’idée de ce spectacle en observant les postures corporelles académiques que prennent les jeunes femmes lors des concours pour les écoles de théâtre. Avec lui, elle ouvre aussi la porte pour que, sans renier les anciennes, de nouvelles figures de femmes puissent naître qui en cristallisent l’image autrement.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Des femmes qui nagent de Pauline Peyrade
mise en scène Émilie Capliez
avec Odja Llorca, Catherine Morlot, Alma Palacios, Léa Sery*
dramaturgie
Juliette de Beauchamp
scénographie
Alban Ho Van
lumière
Kelig Le Bars
musique
Sylvain Jacques
costumes
Caroline Tavernier
images et vidéo
Yann Philippe
assistanat à la mise en scène
Julien Lewkowicz*
*membres de la jeune troupe
production Comédie de Colmar – CDN Grand Est Alsace
coproduction Théâtre de l’Union – CDN Limousin, La Filature – Scène nationale de Mulhouse
avec la participation artistique du Jeune théâtre national
avec le soutien de l’Onda – Office national de diffusion artistique
L’écriture de ce texte a reçu le soutien du Théâtre Nanterre – Amandiers.Durée : 1h40
Comédie de Colmar
du 31 janvier au 7 février 2023Théâtre de l’Union, CDN Limoges (87)
du 21 au 23 février 2023Théâtre Gérard Philipe, CDN Saint-Denis (93)
du 8 au 19 mars 2023La Comédie, CDN Reims (51)
du 19 au 21 avril 2023
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