Avec Prénom Nom, l’auteur et metteur en scène Guillaume Mika poursuit son passionnant et très ludique entremêlement du théâtre et des sciences. « Fiction génétique », cette nouvelle création qui a vu le jour au Théâtre La Passerelle – Scène nationale de Gap nous offre d’assister à une expérience unique : la tentative de scolarisation d’un tardigrade – animal en principe microscopique – à taille humaine.
Vêtu d’une blouse blanche, rendu presque méconnaissable par une perruque sans équivoque quant à l’indifférence de son personnage à son apparence, Guillaume Mika donne d’emblée sur la scène de Prénom Nom une présence concrète à la science. L’objet de la grande passion du chercheur qu’il incarne est minuscule : le tardigrade, animal d’environ 0,5 mm. Un bref exposé, dont certains signes nous font anticiper les dérives, nous permet de commencer à comprendre la monomanie et les cheveux longs du protagoniste. Largement agrandie grâce à la caméra branchée à un microscope, la créature translucide que l’on voit s’agiter sur le mur du théâtre est, apprend-on, la plus indestructible de la planète.
Le zéro absolu ne menace en effet pas plus la vie du tardigrade que les rayons X. Il peut se reproduire seul au cas où il ne trouverait pas de partenaire sexuel à la hauteur de ses ambitions. Il résiste au vide spatial et, dans des conditions insuffisantes à ses besoins, il peut s’auto-déshydrater pour entrer en « cryptobiose », activité métabolique très ralentie dont il peut sortir dès que les choses prennent pour lui un tour meilleur. C’est cette particularité qui retient particulièrement l’attention de la communauté scientifique depuis une dizaine d’années, tout comme celle de Guillaume Mika. Ce qui n’est pas un hasard : avec sa compagnie Des Trous dans la Tête, dont Prénom Nom est la quatrième création, l’auteur et metteur en scène entend défendre le dialogue entre arts et sciences et en faire le cœur de son théâtre accueillant à bien d’autres langages encore. À la musique et à la vidéo que l’artiste très polyvalent pratique lui-même, mais aussi à la danse ou au cirque.
Ce goût du grand mélange ou, selon les termes de Guillaume Mika, de l’« Informe, de l’incohérence », préserve Prénom Nom de tout excès de pédagogie. Ce qui était déjà le cas dans la précédente création de Des Trous dans la Tête, La Flèche, où pour nous faire entrer dans le cerveau de Frederic Winslow Taylor, le théoricien de l’Organisation Scientifique du Travail, l’artiste et les comédiens Heidi-Eva Clavier et Maxime Mikolajczak construisaient à vue, tout au long de la pièce, une machine étrange. Une sorte de cinématographe à pédales qui prouvait le talent de Guillaume Mika à dire le scientifique, le complexe avec une drôlerie attenante à l’absurde. Avec aussi une théâtralité à la fois concrète, physique parce que bricoleuse, et savante. Dans Prénom Nom, l’artiste touche-à-tout, anti-spécialiste convaincu, réussit de nouveau son subtil mélange d’ingrédients très divers.
À la fin de son introduction à la vie incroyable des tardigrades, Guillaume Mika nous présente le personnage central de sa pièce, qui place d’emblée celle-ci à distance de La Flèche, beaucoup plus proche de l’absurde. Car le héros du spectacle n’est pas le scientifique, mais la créature qu’il a pour mission d’étudier, si extraordinaire que son existence semble beaucoup plus adaptée au cinéma ou à la littérature qu’au théâtre. C’est justement ce qui intéresse Guillaume Mika : avec son tardigrade géant prénommé Lucas, il met le théâtre au défi de l’irreprésentable. Il s’en sort avec une fiction à l’image de son animal : complètement invraisemblable. Le scientifique y est déguisé en employé de Centre d’Information et d’Orientation (CIO), sous la direction d’une conseillère-psychologue incarnée par Heidi-Eva Clavier. Dans un décor de CIO quelque peu adapté aux particularités de la grosse bestiole, le biologiste tente de provoquer la cryptobiose de l’objet de toutes leurs curiosités. Leur stratégie : faire subir à ce dernier un processus d’orientation.
Dans le cadre hybride où se déroule la pièce – les apparences CIO masquent mal le laboratoire qu’elles sont sensées cacher –, Guillaume Mika a l’art d’insérer bien des formes et des histoires, qui toutes sont des tentatives d’angoisser l’animal fantastique pour l’amener à ralentir son métabolisme. La théorie de la « récapitulation embryonnaire » de Ernst Von Haeckel, selon laquelle un embryon d’une espèce récapitule pendant son développement tous les caractères des espèces avant lui, côtoie ainsi différentes méthodes appliquées à l’orientation scolaire ou encore un mythe grec. On le devine à la précision avec laquelle ils sont abordés, tous ces domaines ont fait l’objet de recherches approfondies, de rencontres entre l’équipe artistique et des spécialistes. S’il a des Trous dans la Tête, Guillaume Mika sait très bien les remplir.
Construit autour de la créature, incarnée par le contorsionniste Adalberto Fernandez Torres qui habite à merveille son costume plus réaliste que le CIO où il évolue, l’ensemble est d’un ludique et d’une cohérence des plus réjouissantes. Le grotesque de la bestiole, à la gestuelle très précise, riche en effets comiques, agit dans la pièce tel un véhicule très accueillant, très grand, à l’intérieur duquel peuvent se penser ensemble des sujets aussi apparemment éloignés que notre rapport au vivant et les évolutions du système scolaire en France. Avec Guillaume Mika et ses complices, on pense de tant rire, et inversement.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Prénom Nom
Écriture et mise en scène Guillaume Mika
Cie Des Trous dans la Tête
Collaboration artistique et à la dramaturgie Samuel Roger
Avec Adalberto Fernandez Torres, Heidi-Eva Clavier, Guillaume Mika
Création tardigrade et costumes Aliénor Figueiredo assistée de Julie Cuadros
Scénographie et accessoires Mathilde Cordier
Lumières et régie générale Léo Grosperrin
Vidéo Valery Faidherbe
Musique Vincent Hours
Collaboration au mouvement Violeta Todo-Gonzalez
Construction Alexis Boullay
Collaboration tardigrades Laurence Héchard
Assistanat technique Rose Bienvenu
Administration Shanga Morali / Mozaïc
Diffusion Claire NovelliCoproduction : Théâtre Joliette, Scène conventionnée art et création expressions et écritures contemporaines, Marseille ; Châteauvallon-Liberté, scène nationale ; Le Carré Sainte-Maxime ; Théâtre La passerelle, scène nationale de Gap et des Alpes du Sud ; Le théâtre des Halles, Avignon ; Théâtre de Vanves, Scène conventionnée d’intérêt national « Art et création » pour la danse et les écritures contemporaines à travers les arts ; Le Cube – Studio Théâtre d’Hérisson
Soutien et accueil en résidence : La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon – Centre national des écritures du spectacle ; Le Lieu Multiple, pôle de création numérique de l’Espace Mendès France, Poitiers ; Théâtre Durance, scène conventionnée d’intérêt national art et création, Château-Arnoux-Saint-Auban ; La Nef – Manufacture des Utopies ; Le Lieu – fabrique de création à Gambais
Soutien : la Ville de Toulon ; la Métropole Toulon-Provence-Méditerranée ; le Département du Var ; la Région SUD Provence-Alpes-Côte d’Azur ; la DRAC Provence-Alpes-Côte d’AzurDurée : 1h20
Théâtre La Passerelle – Scène nationale de Gap
Les 17 et 18 novembre 2022Carré Sainte-Maxime
Les 5 et 6 décembre 2022Le Liberté – Scène nationale de Toulon
Les 14 et 15 décembre 2022Théâtre Joliette – Marseille
Du 1er au 4 février 2023Théâtre de Vanves
Du 7 au 10 février 2023Théâtre des Halles – Avignon
Les 12 et 13 avril 2023
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