Le metteur en scène et sa troupe présentent une version de la pièce de Molière qui frappe par sa sagesse. Il faut le dire un brin décevante.
Sobre. Pour qui se souvient des outrances des Précieuses ridicules ou du baroque hybride du Bourgeois gentilhomme, cette version de L’Avare version Jérôme Deschamps peut surprendre. En guise de scénographie, un inamovible fond de scène avec un rectangle plus clair, comme ouvrant sur l’extérieur. Hommage aux toiles peintes du XVIIe siècle ? On pourrait aussi se croire dans un album illustré pour enfants avec sa surface crayonnée et sa lune accrochée dans un coin. C’est joli. Et quelques panneaux sur les côtés virent parfois de couleur, dans des codes chromatiques qu’on ne parvient pas à décrypter, le tout dans une atmosphère aux dominantes bleu nuit. L’Avare, c’est le crépuscule d’une vie.
Côté costumes, pensés par Macha Makeïeff, même le fils Cléante qui est accusé par son père de « faire le marquis » ne présente, pour toute extravagance, que des garnitures de dentelle rose aux poignets. L’ensemble est d’époque, élégant. Une sobriété limite austérité dans l’échelle de l’univers Deschamps, comme inspirée par le caractère d’un Harpagon que, on le sait, toute dépense rebute. Le personnage à la cassette est mythique dans la culture française, à tel point qu’on oublie certainement les contours précis de son histoire. La comédie en cinq actes simplement séparés de courts intermèdes musicaux les restitue ici clairement. Elle se déploie pendant plus de deux heures dans un TNP qui joue à plein sa fonction de Théâtre Populaire censé réunir toutes les composantes de la société sous le seau du plaisir et de la qualité à travers les grands classiques du théâtre.
Mais on garde malgré tout de cela une impression mitigée. Le texte y est porté dans toute sa clarté ; les mécanismes des scènes de comédie qu’on peinait à distinguer à la lecture sur les bancs de l’école sont ici limpides ; les personnages joués sans outrance, avec une certaine sincérité. Jérôme Deschamps se taille la part du lion avec le rôle-titre. Ventru et costume troué aux aisselles, il donne de la panse et du bassin, voulant au minimum de frais contenter ses derniers désirs. Pas vraiment pathétique – ni vraiment ridicule ni vraiment émouvant –, il demeure dans un entre-deux qui sonne assez juste. Les caractères autour de lui sont à l’avenant. La fille Élise est sage, mais se défend dans la douceur. Le fils Cléante, plus rugueux, ne se laisse pas faire non plus. L’intendant Valère, amoureux déclaré d’Élise, trompe son maître avec habileté. Toutefois, tous en deviennent parfois un peu pâlichons. Les intentions sont estompées. Le comique émoussé. Les moments de grande comédie se font attendre. La jubilation de la farce est sans cesse remise à plus tard. Le cuistot-carrossier nous en rapproche un temps, mais on reste en manque. Scènes de bastonnade sans relief. Tout est un peu trop en retenue. Pas de déferlement de plaisir, de rire, ni côté scène ni côté salle. C’est une pièce de haute tenue. Une comédie de caractère qui file droit, mais qui manque de folie et de joie.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
L’Avare
de Molière
Mise en scène de Jérôme Deschamps
Avec Flore Babled en alternance avec Bénédicte Choisnet, Lorella Cravotta, Vincent Debost, Jérôme Deschamps, Fred Epaud, Hervé Lassïnce, Louise Legendre, Yves Robin, Stanislas Roquette, Geert Van Herwijnen
Décor Félix Deschamps Mak
Costumes et accessoires Macha Makeïeff
Lumières Bertrand Couderc
Assistant à la mise en scène Damien Lefèvre
Régie générale Lionel Thomas
Assistant décor Anton Grandcoin
Assistant peinture Alessandro Lanzillotti
Assistante costumes Laura Garnier
Perruques et maquillage Emmanuelle Flisseau
Construction du décor et confection des costumes Ateliers du TNPProduction Compagnie Jérôme Deschamps
Coproduction Théâtre National Populaire, Villeurbanne, Théâtre Montansier, Versailles, Théâtre de Caen, Théâtre de Chartres, Scène Conventionnée d’Intérêt National – Art et Création
Avec la participation artistique du Jeune théâtre national et de la Compagnie MademoiselleLa Compagnie Jérôme Deschamps est soutenue par le Ministère de la Culture.
Durée : 2h15
Vu en octobre 2022 au Théâtre National Populaire, Villeurbanne
Opéra Royal de Versailles
du 6 au 10 novembre 2024
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