Repérée sur le plateau d’Alain Françon, la comédienne signe un premier spectacle réjouissant. Immergée dans le concours des Miss, qu’elle met en pièce, elle s’impose comme une autrice et metteure en scène aussi drôle qu’intelligente.
C’est une histoire peu commune, à la lisière du parcours initiatique et du récit d’émancipation, du théâtre et du documentaire, de la tragédie sociale et de la comédie politique. En 2020, alors qu’elle est en dernière année de formation à l’École du Nord à Lille, l’actrice Suzanne de Baecque décide de se présenter à l’élection de Miss Poitou-Charentes. L’entreprise est audacieuse. Pour le moins courageuse. Le projet de fin d’étude, tel qu’il a été proposé par ses profs, consiste à s’immerger dans un milieu donné, quelque part en France… Et si possible hors de toute « zone de confort ». L’objectif étant d’en tirer un spectacle. Un beau jour, donc, alors que Suzanne de Baecque accompagne son beau-père au Super U de Lencloître (une commune dans le Centre-Ouest de la France, à quelques encablures de Poitiers), la jeune femme tombe par hasard sur l’un des appels à candidatures du concours archaïque. La voilà provoquée par son facétieux beau-père (« si t’as pas tes concours tu pourras toujours faire miss France ! », se serait-il amusé). La voilà, surtout, provoquée par elle-même. Elle s’inscrit. Elle s’immerge. Elle interroge ses concurrentes. Elle enregistre leur parole. Elle questionne leurs motivations (et les siennes, au passage). Et elle compose un spectacle ; une « restitution » appelle-t-on ça dans le jargon du théâtre documentaire…
Que voici. Le résultat est un drôle d’objet. Un peu bancal, un peu flou, mais assez drôle, très malin et extrêmement attachant. Une chose est sûre, avec sa première pièce, Suzanne de Baecque se fait remarquer de façon réjouissante comme metteure en scène – après s’être fait remarquer de façon tout aussi réjouissante en tant qu’actrice chez Alain Françon (La Seconde surprise de l’amour en 2021). Au plateau, elles sont deux. Il y a elle, évidemment, qui raconte, qui incarne et qui rejoue… Et il y a Raphaëlle Rousseau, avec sa forte présence scénique, qui la seconde ; et qui sera tour à tour coach, concurrente, confidente… On découvre le projet et la méthode, quelques images, plusieurs témoignages. La « restitution » – nous employons les guillemets à dessein – est d’abord parfaitement délirante. Suzanne de Baecque est traitée comme une athlète de haut niveau, voire, carrément, comme un cheval de compétition. On l’entraîne aux sauts d’obstacles, au hula-hoop et aux défilés (et l’on pense à la comédie culte, hilarante, indémodable de Ben Stiller, Zoolander). Mais celle-ci est bien trop gauche, trop impulsive, trop désinvolte. Bien que filiforme, bien que correspondant aux canons institutionnels, son corps refuse de rentrer dans le moule. Et c’est tant mieux, bien sûr. Grâce à lui, le plaisir du jeu est immense. Il tient aussi à l’alchimie entre la metteure en scène et son acolyte. Celle-ci est communicative. Souvent jubilatoire.
Mais le propos est également politique et social. Mettre le feu à la maison Miss France, aussi ridicule et nuisible soit-elle, est somme toute assez facile. La grande réussite de Suzanne de Baecque tient à la façon de critiquer l’institution, tout en considérant les prétendantes au(x) titre(s) avec respect et bienveillance. Jamais, elles ne sont prises de haut. Toujours, leur singularité est mise en avant. Il y a l’ex-boxeuse, il y a celle qui se sent invisible, il y a celle qui fut broyée par l’expérience, il y l’ancienne malade du cancer contrainte d’arrêter le concours (son témoignage qui clôt le spectacle est bouleversant) … Et il y a Suzanne de Baecque qui en profite, en filigrane, pour faire son introspection. À mesure qu’il avance, le spectacle devient plus grave, on y entend la misère et la solitude. Certains choix dramaturgiques sont critiquables. L’autrice veut en dire beaucoup, et elle veut nous faire éprouver beaucoup d’émotions (trop peut-être). Mais si l’ensemble est un peu fouillis, la comédienne réussit une entrée fracassante dans la création théâtrale. Vite, la suite !
Igor Hansen-Løve – sceneweb.fr
Tenir debout, de Suzanne de Baecque
Avec Suzanne de Baecque et Raphaëlle Rousseau
Conception lumière et vidéo Thomas Cottereau
Création vidéo Manon Sabatier
Costumes Marie La Rocca
Régie lumière et générale
Production CDN Orléans / Centre-Val de Loire
Coproduction et partenaires (en cours)
Le Méta, CDN de Poitiers Nouvelle-Aquitaine, Théâtre du Nord, Centre Dramatique National Lille / Tourcoing.
Avec le soutien du T2G – Centre dramatique National de Gennevilliers ; du fonds d’insertion de l’École du TNB ; du JTN – jeune théâtre national – Paris ; du dispositif d’insertion de l’École du Nord, soutenu par la Région Hauts-de-France et le Ministère de la Culture
Théâtre du Rond-Point
18 septembre — 6 octobre 2024
Mardi au vendredi, 19h30
Samedi, 18h30 – dimanche, 15h30
Relâche les lundis
et les 22 et 24 septembre
Salle Jean Tardieu
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