Actrice et chanteuse, Estelle Meyer se partage entre ses propres spectacles comme Sous ma robe, mon cĆur, vĂ©ritable coup de cĆur de la saison derniĂšre, et des piĂšces mises en scĂšne par Guillaume Vincent, JosĂ©phine Serre ou Le Birgit Ensemble. Pour cette rentrĂ©e, elle est dans la peau de Sarah Bernhardt dans LâExtraordinaire DestinĂ©e de Sarah Bernhardt de GĂ©raldine Martineau
Avez-vous le trac lors des soirs de premiĂšre ?
ComplĂštement. Souvent mĂȘme je me dis, quâest ce qui tâa pris de te lancer lĂ -dedans ! Jâai mal au ventre. Je mâinquiĂšte. Je ne cherche pas du tout Ă me rappeler mon texte, juste avant il me semble nâen rester rien. Je me sens maladroite, lourde. Mais aux premiĂšres phrases, quelque chose sâouvre, de lâeau mâarrive et tout sâĂ©claire. Ce quâil y avait de mieux Ă faire Ă©tait de dire, de porter les mots au monde. De ne pas rester enfermĂ©e en soi mĂȘme. Dâouvrir la fenĂȘtre. Dâaller vers lâAutre. Et alors quelque chose sâapaise. Il est bon dâĂȘtre lĂ . Il nây a pas de meilleur endroit sur terre.
Comment passez-vous votre journée avant un soir de premiÚre ?
TrĂšs ritualisĂ©e. LâidĂ©al est de faire une sieste, ou de le tenter selon lâĂ©tat. Dâarriver tĂŽt au thĂ©Ăątre.
De prĂ©parer mes cadeaux, les mots de premiĂšre. DâĂ©crire sur mon cahier lâĂ©tat Ă©motionnel exact dans lequel je suis, comme un point zĂ©ro, un point de dĂ©part. Ătre dans un lien de transparence Ă moi-mĂȘme. Ouvrir une forme de nuditĂ©, de non cynisme Ă la journĂ©e, au fait dâouvrir lâintime et le don. Ensuite dâarpenter le plateau presque animalement parlant. Le renifler. Se mĂȘler au lieu, Ă lâĂ©nergie qui y tourne. Marcher, faire des cercles. PiĂ©tiner le sol. Regarder les distances entre les murs, les gens. Aller de la scĂšne Ă la salle. LâintĂ©grer dans ma chair. Me chauffer la voix patiemment. RĂ©veiller le souffle. Jâaime prier avant de jouer, me charger de forces, pour ĂȘtre large, gĂ©nĂ©reuse et pour ouvrir dâautres dimensions.
Avez-vous des habitudes avant d’entrer en scĂšne ? Des superstitions ?
Il faut que je me sente chez moi, donc quelque chose en moi doit prendre le temps de sâasseoir, dâĂȘtre apprivoisĂ©, dâavoir confiance pour pouvoir mâouvrir et donner.
PremiĂšre fois oĂč je me suis dit « je veux faire ce mĂ©tier ? »
TrĂšs petite, 6 ou 7 ans, une impression dâimmortalitĂ©, de temps suspendu, que lâon passait vraiment de lâautre cĂŽtĂ© du voile. Comme un espace sacrĂ©, des secrets qui se rĂ©vĂ©laient et chuchotaient, ouvraient d’anciennes mĂ©moires. Une Ă©motion aussi, venant dâune famille nombreuse, de pouvoir parler Ă mon rythme, dâĂȘtre Ă©coutĂ©e. LâĂ©motion dâun silence partagĂ© entre la scĂšne et la salle dont jâĂ©tais lâinitiatrice. LâĂ©motion de la soif de lâautre. Je mâassois te regarder, je viens y croire. Aux histoires, Ă la magie, Ă la purification de ce lieu, Ă sa toute vieille Ăąme.
Premier bide ?
Un Andromaque devant 500 scolaires, un carnage.
PremiĂšre ovation ?
Aux premiĂšres de Sous ma robe, mon cĆur, mon spectacle, une Ă©motion particuliĂšre quand câest absolument tes mots, tes chants. Quelque chose sâapaise. Ătre comprise par dâautres.
Premier fou rire ?
La Coupe et les lĂšvres de Musset, je remplaçais une actrice, jâavais Ă peine une aprĂšs-midi de reprise. Le spectacle Ă©tait en alexandrins. Le soir de la reprĂ©sentation jâai eu un trou, jâai inventĂ© un alexandrin tout tordu, qui tentait vaguement de rimer avec le prĂ©cĂ©dent. Une actrice amie a commencĂ© Ă rire, je nâai pas rĂ©sistĂ© une seconde. Fou rire. CâĂ©tait dĂ©licieux. Car complĂštement abusĂ© et joyeusement surrĂ©aliste.
PremiĂšres larmes en tant que spectatrice ?
Je crois Ă une Mouette que jâavais vue enfant dans un petit thĂ©Ăątre Ă cĂŽtĂ© de chez moi. Je me rappelle ma sidĂ©ration au moment du coup de feu et mes larmes immenses pour ce jeune homme, Treplev, qui nâavait pas rĂ©ussi Ă tenir le fracas de la vie.
PremiĂšre mise Ă nue ?
Par le chant dans les spectacles. Mes premiers concerts. Oser chanter et dire mes mots, je nâai jamais rien fait de plus intime. Je tremblais littĂ©ralement. Comme si jâouvrais pour la premiĂšre fois mon flacon profond.
PremiĂšre fois sur scĂšne avec une idole ?
Quand Judith Chemla est venue faire un concert avec moi aux Trois Baudets. Plus tard Jeanne Cherhal a Ă©tĂ© ma femme (ObĂ©ron) dans Songes et MĂ©tamorphoses de Guillaume Vincent. CâĂ©tait merveilleux de jouer et chanter avec elle. Tellement heureux de partager la scĂšne, la loge, le voyage avec elle. De vivre cĂŽte Ă cĂŽte. Et plus rĂ©cemment dans Andando avec CamĂ©lia Jordana. Ce sont des femmes sĆurs que jâadore et qui mâinspirent, me donnent de la force et du courage Ă prendre ma Voie singuliĂšre.
PremiĂšre interview ?
Au conservatoire, câĂ©tait Le Parisien avant mes journĂ©es de juin, et mon dĂ©part dans la vie dâactrice, jâĂ©tais en pantalon rouge en cuir, dĂ©chaĂźnĂ©e, un grand palmier sur la tĂȘte. Jâai pris des poses de Kill Bill. JâĂ©tais joyeusement excitĂ©e de la vie qui sâouvrait, pleine dâextravagance et dâenvie.
Premier coup de cĆur ?
Je crois que câest de voir pour la premiĂšre fois du thĂ©Ăątre contemporain Ă 16 ou 17 ans. Je ne savais pas que ça existait. Quâon pouvait dire les choses comme ça. Je pense Ă des piĂšces de Sarah Kane. De sentir au plus prĂšs quâon pouvait dire la dĂ©tresse et la mĂ©lancolie, la peau qui brĂ»le, le chaos. Une libertĂ© dâexprimer les couleurs les plus intimes de lâhumain. Du plus sombre au plus lĂ©ger. La poĂ©sie brute du quotidien. La violence et lâespĂ©rance. Ăa a ouvert pour moi une libertĂ© profonde. Il existait donc un espace inconditionnel sur Terre.
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