Prix Goncourt des Lycéens 2017, L’Art de perdre d’Alice Zeniter est adapté par la metteuse en scène et comédienne Sabrina Kouroughli. Un spectacle où se raconte la nécessité de la transmission pour construire son identité.
Lorsque L’Art de perdre débute, Yema, la grand-mère, est assise à une table de cuisine où elle brode. Devant elle, des makrouds (pâtisseries maghrébines) et du thé, dont Naïma, sa petite-fille et personnage central du récit, se servira à la fin de la pièce pour symboliser ses avancées dans sa quête d’identité. D’emblée, cette cuisine – dont la scénographie simple installe immédiatement une atmosphère familiale – apparaît comme un lieu de dialogue, de rencontre entre le passé et le présent, entre une grand-mère et sa petite-fille. Naïma, quant à elle, est affalée sur une malle, et regarde un film américain, le son monté au maximum. Une musique succède au film et la jeune femme se lève. Après une danse aux accents épileptiques, elle s’engage dans un monologue larmoyant à propos de ses gueules de bois, qui la conduit à lister ses peurs : celles qui lui sont propres, et celles héritées de son père. Un père qui, ayant « confondu intégration et politique de la terre brûlée », selon les mots de Naïma, refuse de parler à ses filles de son pays d’origine, l’Algérie, dont la famille a dû s’enfuir en 1962.
L’adaptation du roman d’Alice Zeniter réalisée par Sabrina Kouroughli se concentre sur sa partie familiale, plutôt que sur sa partie historique. De fait, la pièce s’organise principalement autour d’un monologue de Naïma (brillamment interprétée par Sabrina Kouroughli), dont les interrogations identitaires ont vu le jour à la suite des attentats terroristes survenus en Algérie, et d’un ensemble de dialogues introspectifs avec sa grand-mère (incarnée par Fatima Aibout). Fidèle au livre, elle nous conduit du douloureux abandon forcé de la Kabylie par la famille de Naïma, à la suite de la signature des accords d’Évian, jusqu’en France où, avec d’autres harkis (ou ceux considérés comme tels), ces « oubliés » seront parqués pendant des années au camp de Rivesaltes. Ils se retrouveront ensuite logés en périphérie d’un village normand, dans des barres HLM où, petit à petit, ils reconstruiront leur vie. En parallèle, nous suivons les difficultés contemporaines de Naïma à partir pour l’Algérie, ce pays dont elle a « peur de perdre l’absence ».
Si, dans la mise en scène de Sabrina Kouroughli, le décor reste identique au fur et à mesure des déménagements forcés, tout comme entre l’Algérie et la France, c’est que, aux yeux de Naïma, l’Algérie, à défaut d’autre transmission, s’incarne dans la table en formica de sa grand-mère couverte de pâtisseries et de thé. Les lumières, en revanche, évoluent selon les personnages endossés par Sabrina Kouroughli : un membre de l’association des anciens combattants pour la France en Algérie, le juge français qui accorde la nationalité aux réfugiés, mais aussi le père de la jeune femme. À l’avant-scène, se trouve également un olivier, référence à la source de fortune du grand-père de Naïma en Kabylie avant leur abrupt départ. Loin d’être un simple élément de décor, cet arbre représente – comme l’explique Sabrina Kouroughli dans sa note d’intention – un symbole de vie, de force, de résilience et d’éternité. Il incarne à sa manière les liens des personnages avec leur histoire, la complexité de leur rapport à celle-ci, comme le nécessaire dépassement des traumatismes. Autant de questions que cette adaptation théâtrale porte avec sincérité et conviction.
Hanna Bernard – www.sceneweb.com
L’Art de perdre
Texte Alice Zeniter
Mise en scène Sabrina Kouroughli
Avec Sabrina Kouroughli, Fatima Aibout, Issam Rachyq-Ahrad
Adaptation Sabrina Kouroughli et Marion Stoufflet
Collaboration artistique Gaëtan Vassart
Son Christophe Séchet
Regard complice Magaly GodenaireProduction Compagnie La Ronde de Nuit
Aide au projet DRAC Île-de-France, Ministère de la Culture et de la Communication, Spedidam
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Du 1er au 30 septembre 2023
Mer. et Jeu. : 19h15
Ven. et Sam. : 21h1513 octobre 2023
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