Au TNP de Villeurbanne, avant une longue tournée, 14 ans après sa création, La Douleur de Marguerite Duras, interprété par Dominique Blanc, et mis en scène par Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang, reprend la route. L’occasion de (re)découvrir un texte d’une puissance phénoménale, magistralement porté.
C’est l’histoire d’une femme qui redécouvre les journaux qu’elle a tenus tandis qu’à la fin de la guerre elle attendait l’hypothétique retour de son mari déporté. C’est en partie l’histoire de Marguerite Duras qui a toujours joué avec la matière autobiographique dans ses récits. C’est aussi une tentative de dire l’angoisse de l’attente, l’horreur de la déportation et la force de la vie, une expérience littéraire sur un substrat réel. Ce n’est pas du Duras « littéraire ». C’est un livre publié en 1985 et, depuis 2008, un spectacle porté par Dominique Blanc – seule en scène, dirigée par Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang – qui est repris cette année.
Porté par la tension d’une vie qui ne tient qu’à un fil et l’imminence de la mort, le récit oscille entre espoir fou et désespoir. Il traverse tout d’abord toute la phase d’attente, durant laquelle la narratrice espère avoir des nouvelles de Robert.L, déporté. Tandis que la guerre touche à sa fin, les camps sont annoncés délivrés les uns après les autres mais le téléphone reste muet. La seconde partie démarre lorsque François Morland (pseudonyme de François Mitterrand) annonce à Marguerite que Robert a été retrouvé, vivant. Mais qu’il va mourir dans les trois jours. Récit du retour, de ce qui reste d’un homme déporté à Dachau, qui ne pèse plus que 38 kilos, se vide et ne peut s’alimenter, mais tient à témoigner de ce qu’il a vécu avant que de mourir.
Sur scène, tout commence comme dans un tableau hollandais. Dominique Blanc, assise de dos, dans un clair-obscur, à une longue table de bois brun sur laquelle rougeoie une pomme posée dans une assiette. Entre la scène de campagne et la nature morte. Une autre chaise, vide, pour D., qui accompagne Marguerite tandis qu’elle attend le retour de Robert L. Les amis, les voisins s’enquièrent de la situation. Les passages à la gare d’Orsay, d’où reviennent les déportés, rythment les journées. Et la tentative de dire l’angoisse – comment elle prend au corps, fait battre le cœur aux tempes – perce . Ce retour d’une femme d’âge mûr sur ces cahiers écrits quarante ans plus tôt, quand la douleur était brûlante, est aussi une expérience littéraire. Redécouvrant ses cahiers, la narratrice dit : « je me suis trouvée devant un désordre phénoménal de la pensée et du sentiment auquel je n’ai pas osé toucher et au regard de quoi la littérature m’a fait honte ».
Le récit se tourne ensuite vers le retour de Robert.L, mort vivant en suspens au-dessus du néant. Les mots se font alors plus crus. Le récit tente de montrer l’impensable, l’horreur, le corps décharné, dysentérique, et ce que devient un homme quand il ne l’est plus, et encore pourtant. La narratrice s’efface. Cette Douleur n’est pas une histoire d’amour mais l’écriture d’états exceptionnels, quand notre humanité saute aux yeux de par le peu qu’il en reste. L’effet est magistral. Dans la scénographie dépouillée, Dominique Blanc, surgie du passé et atemporelle, est une matière brute, une énergie sensible et déterminée, une femme prise dans les conséquences terribles de l’Histoire, une parole aussi charnelle que précise, une tranche de vie et celle qui l’écrit.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
La Douleur de Marguerite Duras
reprise de la mise en scène de Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niangavec Dominique Blanc, sociétaire de la Comédie-Française
création et régie lumière Gilles Bottachi
régie générale Paul Besnardle texte de Marguerite Duras La Douleur est publié chez P.O.L
production les Visiteurs du Soir, Paris
coproduction Théâtre National PopulaireDurée : 1h20
TNP du mercredi 28 septembre au dimanche 9 octobre 2022
Le 25 octobre à l’Archipel – Paris
Les 8,9 et 11 novembre à Avranches
Le 18 novembre au Théâtre d’Aurillac
Le 20 novembre au Théâtre Anne de Bretagne à Vannes
Du 23 novembre au 11 décembre à l’Athénée à Paris
Du 13 au 18 décembre aux Bernardines à Marseille
Le 23 mai à la Maison des arts du Léman à Thonon les bains
Les 30 et 31 mai à la Coursive à la Rochelle
Les 2 et 3 juin au TNN à Nice
Du 6 au 8 juin à la MC2 de Grenoble
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