Pour son premier spectacle jeune public, le metteur en scène adapte librement le conte des frères Grimm, sans convaincre totalement.
Si dès les années 1960 et jusque dans les années 1980 les contes occupent une place prépondérante dans la fondation du théâtre jeune public – les spectacles à destination des enfants puisant alors majoritairement dans ce répertoire –, ils continuent aujourd’hui de constituer un matériau fertile, source d’adaptation et de réécriture. C’est vers l’un des plus célèbres des frères Grimm que se tourne Igor Mendjisky pour sa première création à destination du jeune public. Se saisissant d’Hänsel et Gretel le jeune metteur en scène en livre une très libre adaptation, comme le signale l’intitulé même du spectacle Gretel, Hansel et les autres. Outre que c’est bien Gretel la grande sœur qui mène la danse, les enfants ne sont pas seuls. Une myriade d’autres personnages vont intervenir dans ce récit et nous-mêmes, spectateurs, sommes inclus dans l’affaire.
Cela, on le comprend dès la première seconde du spectacle : lorsque celui-ci débute, l’on voit un père (interprété par Igor Mendjisky) débouler sur scène et intimer à ses deux enfants – en s’adressant à la salle – de se préparer pour aller dormir. La scène représentant de manière réaliste une chambre d’enfants genrée (rose d’un côté, bleu de l’autre) avec jouets de toutes sortes, dessins au mur, petit bureau, peluches au sol, il y a ici un effet saisissant. Rejoint par un ami (Sylvain Debry) venu dîner chez le couple, puis par la mère des enfants (Esther van Den Driessche), le père se révèle ici survolté, trop peu patient et apaisé pour permettre aux deux bambins d’accepter d’aller se coucher. C’est à trois que les adultes vont alors décider de leur raconter l’histoire leur permettant de s’endormir. Après cette introduction tonique, qui par la vivacité du jeu des comédiens nous embarque de plain-pied dans leur histoire, nous plongeons dans le conte.
Devant nous, le trio déplie à l’aide de tous les jouets présents dans la chambre le récit de Gretel et Hansel. Petit théâtre d’ombres, marionnettes, peluches, voiture de police : tout ce qui fait le décorum de ce qu’on imagine constituer une chambre d’enfants devient un matériau pour le récit. Un récit remodelé, donc, en partie par l’intervention de la fille d’Igor Mendjisky que le metteur en scène a désigné en interview, avec humour, comme sa « conseillère littéraire ». Ayant interrogé sa progéniture sur ce qu’elle aimerait voir dans un spectacle, la fillette a indiqué pêle-mêle une pléiade de personnages. Voilà pourquoi débarquent dans cette version remodelée du conte l’institutrice des enfants, un policier trop gourmand, les camarades de classe de Gretel et Hansel, leurs parents, un écureuil, une sorcière pas si terrifiante que cela, une licorne, etc. Pour le reste c’est Mendjisky qui réécrit, proposant un autre regard sur l’itinéraire des deux enfants. Si ces deux derniers se retrouvent isolés en forêt ce n’est pas parce que leurs parents ne pouvant plus les nourrir les ont abandonnés. De même, ils ne tomberont pas sur une acariâtre sorcière voulant les engraisser pour les dévorer. Leur retour à la nature (pensée comme temporaire par Gretel) relève de leur propre chef : se sentant délaissés par un père et une mère trop occupés par leur travail (pour le premier) ou par eux-même (pour la seconde), ne goûtant guère ce monde des adultes où les repas ont disparu cédant la place à une alimentation par pilule – et où même les saveurs sont en train de disparaître – le duo veut échapper à ce monde qui ne leur convient pas.
L’ensemble nous est raconté dans un incessant jeu d’échelles et de changement de mode de récit. Les manipulations diverses par les interprètes sont relayées via des projections vidéo sur les éléments de la scénographie, tandis que tout un riche travail de création graphique est projeté sur le mur de fond de scène. Il y a quelque chose ici du spectacle total, qui peut séduire, mais aussi tendre à étouffer un peu l’ensemble. Comme si à trop vouloir tout illustrer, le spectacle manquait de respiration. Cette sensation d’écrasement du propos est accentuée par l’écriture et son recours un peu trop fréquent aux vers de mirliton.
Si, comme toujours dans les libres adaptations de contes, l’on assiste à une salutaire révision de la morale – exit les deux figures féminines extrêmement négatives de la sorcière et de la marâtre forçant son époux à abandonner leurs enfants – d’autres messages se substituent ici (et dont on ne sait si l’équipe a bel et bien conscience) : outre les couleurs bien genrées, outre la mère frivole et autocentrée (fatiguée, dit-elle, d’avoir passé sa journée à penser à elle), outre l’accent d’un camarade de classe forcément élément turbulent, Gretel et Hansel sont présentés comme des enfants exceptionnels aux comportements et occupations modèles : lecture et écriture pour l’une, dessin pour l’autre. Difficile de ne pas songer au travail de Joël Pommerat, qui tend, lui, à mettre en scène des personnages enfantins plus éloignés de la perfection, qu’il s’agisse de son Pinocchio, non exempt de cruauté, ou du masochisme de Cendrillon.
Reste néanmoins un travail d’équipe engagé, porté avec conviction par les trois interprètes ; un spectacle à l’esthétique léché ; ainsi que la volonté de rappeler par ce conte que les enfants peuvent signaler aux adultes leurs travers et incohérences, voire les rappeler à l’importance de vivre une vie plus apaisée en leur signalant les dysfonctionnements de la société qu’ils façonnent.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Gretel, Hansel et les autres
Écriture et mise en scène Igor Mendjisky
Avec Igor Mendjisky, Esther Van Den Driesshe, Sylvain Debry
Assistant à la mise en scène Thomas Christin
Dramaturgie Charlotte Farcet
Animation 2D Cléo Sarrazin
Musique Raphaël Charpentier
Scénographie Anne-Sophie Grac et Igor Mendjisky
Vidéo Yannick Donet
Lumières Stéphane Dechamps
Construction décors Jean-Luc MalavasiProduction Moya Krysa
Partenaires Festival d’Avignon, La Colline – théâtre national, Célestins – Théâtre de Lyon, L’Azimut – Antony/Châtenay- Malabry, Pôle National Cirque en Ile-de-France, Le Grand T – théâtre de Loire-Atlantique, Les Gémeaux – Scène Nationale Sceaux, Théâtre National de Nice – CDN Nice Côte d’Azur, Théâtre Romain Rolland de Villejuif – Scène conventionnée d’intérêt national Art et création
Avec le soutien du Fonds d’Insertion pour Jeunes Comédiens de l’ESAD – PSPBB, de l’espace SORANO
Avec la participation artistique du Jeune théâtre national
Projet soutenu par le ministère de la Culture – Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-FranceDurée : 1h15
Festival d’Avignon 2022
Chapelle des Pénitents Blancs
du 8 au 11 juillet à 11h et 15hL’Azimut, Antony et Châtenay-Malabry
du 8 au 12 octobreThéâtre Romain Rolland, Villejuif
du 18 au 23 octobreLa Colline – théâtre national, Paris
du 1er au 17 décembreLes Célestins – Théâtre de Lyon
du 20 au 31 décembreLe Grand T, Nantes
du 28 février au 3 marsThéâtre national de Nice, CDN Nice Côte d’Azur
du 15 au 18 marsThéâtre de l’Olivier – Scènes & Cinés, Istres
les 21 et 22 marsEspace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge
le 24 marsLes Gémeaux, Scène nationale de Sceaux
les 7 et 8 avrilLe Quai – CDN Angers
du 12 au 15 avrilEspace Sorano, Vincennes
le 21 avril
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