Le metteur en scène et plasticien italien s’empare de la symphonie no 2 en ut mineur de Gustav Mahler. Il signe un puissant et tragique tableau performé dont la tonalité macabre éprouve et sidère.
Lancement inhabituel pour le chicissime festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence qui se donne cette édition des airs inédits de Ruhrtriennale en s’éloignant de ses lieux classiques de représentation pour proposer son spectacle d’ouverture au Stadium de Vitrolles. Construit dans les années 1990 par Rudy Ricciotti sur le site d’une ancienne décharge de bauxite, le géant bloc de béton noir irradiait sous un soleil de plomb le 4 juillet, soir de première. Initialement conçu pour accueillir des championnats sportifs et des concerts de rock, l’immense bâtiment, laissé à l’abandon depuis plus de vingt ans et rénové en partie seulement, exhibe dans toute sa vastitude des allures de sombre squat délabré et tagué , il s’impose comme un insolite et magnifique écrin au spectacle Résurrection.
Quelle vision allait livrer Romeo Castellucci – signataire d’une œuvre entière traversée de ténèbres comme de lumières, de spiritualité comme de vanité – du monument Mahlerien ? Qu’allait lui inspirer ce poème musical « eschatologique » qui naît dans un bouillonnant chaos pour s’achever sans l’atteinte la pure extase ? Après avoir monté un Requiem de Mozart pensé paradoxalement comme une célébration de la vie où s’exaltaient les couleurs, la jeunesse et la danse, sa Résurrection, qui devrait appeler à chanter non sans inquiétudes le renouveau, prend les traits d’une forme scénique jamais illustrative et d’une intensité crue où se joue une fouille macabre qui invite à la contemplation, longue jusqu’à l’insoutenable, de la mort et de l’inexorable.
Sur une lande déserte, couverte de terre spongieuse, la traversée d’un cheval blanc s’offre comme une première image grandiose. Ce qui suit est encore plus frappant : la découverte fortuite d’un cadavre puis d’un charnier entier conduit une pléthorique équipe de l’UNHCR (l’agence des Nations Unies pour les réfugiés) jouée par des acteurs et figurants en combinaison de travail, à se rendre puis s’installer durablement sur le terrain vague avec pelleteuse et fourgonnettes pour désensevelir les corps inertes et émaciés d’une communauté tragiquement décimée. Inlassablement extirpés de sous la terre, des cadavres par dizaines et dizaines entassés sont minutieusement transportés, déposés et exposés au regard sur des linceuls blancs zippés.
Est-ce le choc des images qui influence l’écoute ? La partition de Mahler n’a jamais paru aussi cinglante, oppressante, suffocante. Ce sentiment frappe et domine dès les premières mesures aux accents funèbres de l’Allegro maestoso jusqu’à la ronde infernal du Scherzo au terme duquel le temps se suspend. Aux commandes de l’Orchestre de Paris et de son chœur, l’un et l’autre sonorisés, dont la chaleur et la puissance sonores se déploient avec plénitude, Esa-Pekka Salonen offre de la symphonie no 2 une lecture bouleversante et tellurique qui ne s’enlise pas dans une excessive solennité mais pousse l’œuvre dans ses retranchements avec une force inouïe. Une tension et une beauté transcendantes se dégagent. L’impétuosité qui fait rage laisse aussi s’épanouir des moments d’apaisements délicats et même souriants au milieu du violent tumulte. Marianne Crebassa fait résonner son déplorant Urlicht avec un timbre, un souffle et des graves superbes, une profondeur et une intelligibilité dont fait montre également l’excellente Golda Schultz. Tandis que les chœurs entonnent leur céleste résolution, la scène se vide de présences et se nimbe de lumières sépulcrales. La nuit tombe ainsi qu’une pluie diluvienne. Cette eau cathartique se déverse et lave la terre comme les esprits. L’entière place est alors accordée à la musique, sublime, et à l’espérance qu’elle porte avec une ferveur incandescente et consolante.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Résurrection
de Gustav Mahler
SYMPHONIE N°2 « RÉSURRECTION » EN UT MINEUR POUR SOPRANO, ALTO, CHŒUR MIXTE ET ORCHESTRE, EN CINQ MOUVEMENTS
CRÉÉE LE 13 DÉCEMBRE 1895 À BERLIN
Direction musicale
Esa-Pekka Salonen
Mise en scène, décors, costumes, lumière
Romeo Castellucci
Dramaturgie
Piersandra Di Matteo
Collaborateur à la mise en scène
Filippo Ferraresi
Collaborateur artistique aux décors
Alessio Valmori
Collaborateur artistique à la lumière
Marco GiustiSoprano
Golda SchultzAlto
Marianne CrebassaChœur de l’Orchestre de Paris, Jeune Chœur de Paris
Chef de chœur
Marc KorovitchOrchestre de Paris
NOUVELLE PRODUCTION DU FESTIVAL D’AIX-EN-PROVENCE
EN COPRODUCTION AVEC ABU DHABI FESTIVAL— AVEC LE SOUTIEN DE MADAME ALINE FORIEL-DESTEZET, GRANDE DONATRICE D’EXCEPTION DU FESTIVAL D’AIX-EN-PROVENCE
AVEC LE SOUTIEN DE MAJA HOFFMANN / LUMA FOUNDATION
LE CERCLE INCISES POUR LA CRÉATION CONTEMPORAINEDurée : 1h30
Vu au Festival d’Art lyrique d’Aix en Provence en 2022
La Villette
du 28 au 30 novembre 2024
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