Le metteur en scène Barrie Kosky et le chorégraphe Otto Pichler revisitent et modernisent West Side Story de Leonard Bernstein avec autant de passion que d’intensité. Une réussite éclatante et revigorante à l’Opéra national du Rhin.
Le succès ne se dément pas depuis sa création en 1957, West Side Story, dernièrement reporté à l’écran par Spielberg, joue à guichets fermés et reçoit un triomphe à Strasbourg où se donne la pièce dans une production superbement innovante créée à Berlin. La comédie musicale composée par Bernstein ne vieillit pas, et pourtant elle est totalement ancrée dans le contexte socio-politique de sa création, à savoir l’Amérique des années 1950-60, où s’imposent les guerres de gangs entre populations voisines et ennemies. L’amour impossible entre Maria et Tony est le cœur d’une intrigue qui dénonce aussi le racisme, la violence, l’exclusion, la marginalisation. S’emparer de West Side Story pour Barrie Kosky, c’est d’abord chercher à le décontextualiser pour mieux l’ancrer dans la vie d’aujourd’hui et l’universaliser.
Le pari est pleinement réussi. L’artiste convoque habilement sur scène l’énergie vitale de la ville, la beauté magnétique de ses populations brassées, la violence et la rage qui l’irriguent, le tout dans un geste aussi brut qu’efficace. Très habilement, les signataires de cette nouvelle version évitent donc la nostalgie d’une esthétique vintage. L’absence d’images ou de références à l’iconique modèle original permet de mieux planter la pièce dans un univers hyper-urbain et contemporain qui renvoie moins au bas-fonds new-yorkais que plus largement à n’importe quel territoire périphérique de grandes métropoles d’aujourd’hui.
Le plateau est vide et baigné d’une franche noirceur. Sur une large tournette prennent simplement place un terrain de basketball, un dancefloor couronné de géantes boules à facettes, une chambre à coucher. Le minimalisme assumé n’empêche de voir advenir des tableaux on ne peut plus inspirés, habités d’une sublime et brutale fureur de vivre, de s’exprimer, d’exister.
Tout dans ce travail génialement réglé au cordeau est vivifiant, stimulant, émouvant. La mise en scène exacerbe toute la vitalité et la formidable organicité de la pièce. Il se déploie une énergie, une liberté, rageuses et provocantes, qui électrisent le plateau, Elles sont portées par une éblouissante distribution. Tous les interprètes en jeans ou survêtements, sweats à capuche ou torses nus, sont en parfaite osmose. Mike Schwitter et Madison Nonoa délicieusement touchants dans le couple central, le Ballet de l’Opéra national du Rhin riche en fortes présences, et une foule d’artistes réunis sont à saluer pour l’engagement sans faille de leur performance scénique. Danseurs, chanteurs, acteurs, musiciens, ils sont jeunes, beaux, généreux, insolents, absolument virtuoses dans la manière qu’ils ont de faire exulter les corps et les cœurs.
L’Orchestre symphonique de Mulhouse subtilement dirigé par David Charles Abell fait vibrer les timbres et des rythmes latinos ou jazzy qui dynamisent et sensualisent la partition tapageuse et en même temps éprise d’un beau lyrisme ébouriffant. Sont ainsi restituées toutes la séduction et la beauté explosives de cette œuvre unique aux multiples influences musicales et culturelles. Quoi de mieux que cette nouvelle version de West Side Story pour rendre hommage au génie et à l’humanisme d’un artiste et d’une œuvre aussi emblématiques que cosmopolites.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
West Side Story
Leonard BernsteinDirection musicale
David Charles Abell
Mise en scène
Barrie Kosky, Otto Pichler
Chorégraphie
Otto Pichler
Concept des décors
Barrie Kosky
Costumier
Thibaut Welchlin
Lumières
Franck Evin
Chef de chœur
Luciano Bibiloni
CCN • Ballet de l’Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de MulhouseStrasbourg
Opéra
du 29 mai au 10 juin 2022Mulhouse
La Filature
du 26 au 29 juin 2022
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