Un mois après la mort de François Tanguy, le capitaine du Théâtre du Radeau, son fidèle équipage continue de voguer dans son univers théâtral où, à rebours du temps présent, tout concourt à parler aussi bien à l’intellect qu’à l’âme. La tournée se poursuit au Théâtre national de Strasbourg.
Coincée entre un bar-tabac, un club de gymnastique et une pizzeria bonne à tout faire, La Fonderie ne laisse rien paraître au premier regard. Ancien site industriel transformé en succursale automobile dans les années 1960, l’endroit n’a pas franchement l’allure d’un lieu culturel. Et pourtant, depuis 1985, le Théâtre du Radeau de François Tanguy en a fait sa base arrière, son lieu de création plus que de représentation, où il invite à intervalles réguliers d’autres compagnies pour leur offrir ce qui leur manque souvent cruellement : de l’espace et du temps. En poussant la porte de ce local atypique, on découvre un décor à l’état brut, où quelques guirlandes contrebalancent la froideur des parpaings, où le café et les sirops sont en libre-service sur le comptoir du bar, où les billets se règlent encore sur place et en espèces. Y flotte le doux parfum d’une liberté surannée qui attire les foules : ce vendredi 11 novembre, comme les quatre jours précédents, le dernier spectacle de François Tanguy, Par autan, affiche complet. À 5 euros la place, en tarif unique, il faut dire que l’expérience a la saveur de celles que l’on offre.
Plus avertis que néophytes, les spectateurs manceaux paraissent, à les entendre discuter dans le hall, connaître la singularité du travail du maître des lieux. « Tu vas voir, c’est très musical », anticipe l’un ; « Je te préviens, il n’y a jamais d’histoire », avertit l’autre ; « Ça oblige à se laisser porter », annonce un dernier. Et, comme toujours chez François Tanguy, sa nouvelle création sera un peu tout cela à la fois. Son titre aussi énigmatique que sublime, l’artiste est allé le dénicher dans l’une de ses expériences récentes. « Au fil de la tournée d’Item [son précédent spectacle, NDLR], fragmentée pour causes de circonstances, le spectacle s’est posé à Montpellier, raconte Jean-Pierre Thibaudat dans le texte de présentation qu’il a composé pour le Festival d’Automne à Paris où le metteur en scène est invité pour la douzième fois. En marge des représentations, François Tanguy et son équipe ont animé un atelier au Théâtre des treize vents. Ils ont tendu des draps entre quatre arbres et le vent s’est levé, le vent d’autan, bousculant tout. Et c’est dans son souffle puissant et ses bourrasques que s’est bientôt levé le titre du spectacle Par autan. Restait à inventer, articuler, fabriquer le futur spectacle dont n’existait alors rien d’autre que le titre. »
Rien d’autre, ou presque, tant le fécond capharnaüm de bois, de châssis, de toiles et de cloisons amovibles présent sur le plateau ressemble à s’y méprendre à celui d’Item, dont François Tanguy a voulu, semble-t-il, poursuivre le collage en forme de voyage. Dans les rideaux blancs solidement arrimés à l’avant-scène, le vent ne tarde pas à souffler, et à charrier avec lui son lot de fragments textuels, comme autant de signaux qui permettent à tout un chacun de se frayer son propre chemin. Pêle-mêle, on croit reconnaître Shakespeare (Hamlet, Le Roi Lear, Richard III) et Kafka (Journal), Tchekhov (La Noce, La Mouette) et Kleist (Le Prince de Hombourg, La Cruche cassée), Kierkegaard (Crainte et tremblement) et Dostoïevski (Les Frères Karamazov), et surtout Robert Walser qui, au gré d’extraits des Rédactions de Fritz Kocher, de La Sonate, de Kleist à Thoune et de Tableau vivant, ouvre, clôt et rythme cette épopée avec son lyrisme échevelé. S’il est sans doute plus difficile de pénétrer dans ce Par autan que dans d’autres spectacles de François Tanguy, la magie ne peine malgré tout pas à opérer, et sa savante mécanique, moins désordonnée que ne le laissent croire les apparences, à produire ses troublants effets.
Dans cette scénographie qui ne cesse de s’ouvrir et de multiplier les plans, comme si l’art dramatique et le vent parvenaient à repousser progressivement les limites d’un espace mental trop encombré, les comédiennes et comédiens ont l’aura magnétique de créatures sorties du fond des âges et des livres. Fidèles du Théâtre du Radeau (Laurence Chable, Martine Dupé, Frode Bjørnstad, Erik Gerken, Vincent Joly) ou nouveaux venus (Anaïs Muller et le musicien Samuel Boré), tantôt chevalier, grande bourgeoise ou mariée au gré des beaux costumes d’Odile Crétault, ils alimentent une étrangeté calculée et alternent sans mal les pitreries et les morceaux de bravoure, les partitions en solo ou à plusieurs, jusqu’à ouvrir un univers parallèle en dehors, et à rebours, du temps présent. Au rythme de Beethoven, Brahms, Mahler, Rachmaninoff, Scarlatti ou encore Schumann, ils réussissent à donner naissance à un mouvement qui, au-delà de l’intellect, parle, sans que l’on comprenne vraiment comment, à l’âme de ceux qui les écoutent. Et c’est là que réside tout le génie de François Tanguy qui, à la manière d’un orfèvre, réussit, à l’aide de bijoux parfois oubliés, à donner naissance à une nouvelle « parure éblouissante ».
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Par autan
Mise en scène et scénographie François Tanguy
Avec Frode Bjørnstad, Samuel Boré, Laurence Chable, Martine Dupé, Erik Gerken, Vincent Joly, Anaïs Muller
Élaboration sonore Éric Goudard, François Tanguy
Lumières François Fauvel, Typhaine Steiner, François Tanguy
Régie générale François Fauvel
Régie lumière François Fauvel, Typhaine Steiner, Jean Guillet
Régie son Éric Goudard, Landry Le Ténier
Couture Odile Crétault
Construction François Fauvel, Erik Gerken, Jean Guillet, Jimmy Péchard, Paul-Emile PerreauCoproduction Théâtre du Radeau, Le Mans ; Théâtre des 13 Vents – CDN de Montpellier ; La Comédie de Caen – CDN ; Festival d’Automne à Paris ; Les Quinconces et L’Espal, Scène nationale du Mans ; L’Archipel – Scène nationale de Perpignan ; Théâtre National de Bretagne ; T2G – Théâtre de Gennevilliers – Centre Dramatique National
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre NationalLe Théâtre du Radeau est subventionné par L’État, la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) des Pays de la Loire, le Conseil Régional des Pays de la Loire, le Conseil Départemental de la Sarthe, la Ville du Mans. Il reçoit le soutien de Le Mans Métropole.
Durée : 1h30
La Fonderie, Le Mans
du 7 au 11 novembre 2022Théâtre National de Bretagne, Rennes
du 23 au 26 novembreT2G Théâtre de Gennevilliers dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
du 8 au 17 décembreThéâtre National de Strasbourg
du 6 au 14 janvier 2023L’Archipel, Scène nationale de Perpignan
les 25 et 26 janvierLa Comédie de Caen
les 2 et 3 févrierCentre dramatique national Besançon Franche-Comté
les 8 et 9 mars
Comment choisir un tel spectacle après une présentation aussi sibylline.
Vous ne faites aucun effort pour attirer les spectateurs.
C est grave de rejeter un public qui ne souhaite que participer, mais qui est dégoutté par votre manque d attractivité.