Dans une splendide descente aux enfers, la fille se meut en une héroïne épique qui affronte une série d’épreuves. Comme Don Quichote, ivre d’amour et d’absolu, elle se rêve une vie plus grande et se débat contre les moulins à vent des modèles imposés. De cercles en cercles, comme dans l’œuvre de Dante, on suit l’héroïne dans son parcours du combattant où chaque fragment, comme une épreuve à surmonter, se singularise par son langage : le langage médical, le journal intime de la dépression, l’abstraction poétique, le crédo du développement personnel…
Cette quête vertigineuse d’un idéal la mène à la disparition. Dans 4.48 Psychose, cette dissolution du soi s’opère dans un élan paradoxal et presque obscène, sous les yeux du spectateur, la fille nous dit « Regardez-moi disparaître ». Si la mort nous attend tous au bout du chemin, elle choisit comment s’y rendre. Elle mettra en scène la sienne, comme une dernière course, splendide et fracassante.
Car ce n’est pas le renoncement apathique mais l’intégrité redoutable d’un idéalisme fracassé qui la guide vers cette issue fatale. Lucide, absolue, radicale, elle plonge dans le néant pour rester honnête avec elle-même.
L’hermaphrodite brisé.e et la joie grave
Elle est accompagnée dans cette épopée par un autre, il est peut-être son médecin, ou son double – la partie manquante de « l’hermaphrodite brisé.e » -, ou juste une projection de son imagination. Le mythe d’un être double qui aurait été scindé en deux, comme dans le discours d’Aristophane, traverse la pièce. C’est peut-être cela, ce grand manque que la fille cherche à tout prix à combler.
Sa quête d’un idéal la mène au sacré. De sa honte intime elle fait une terrible sentence mystique. Mais sous le masque de l’illumination, elle aborde les questions vertigineuses de la dissociation du corps et de l’âme – est-ce qu’on a un corps ? Est-ce qu’on est un corps ? – et du sens à donner à sa vie dans un monde qui semble devenu fou.
Bien qu’il soit trop tard pour elle, elle ne cesse d’exhorter les autres à « arrêter de juger d’après les apparences », à « lever le rideau », à « déchirer le voile ». Elle semble nous tendre la main, comme si une autre voie était possible, tout près de nous, et que nous n’avions qu’un pas à faire pour y parvenir. Elle met fin à ses jours oui, mais dans ce sacrifice consenti il y a une « joie grave »[1], un paradoxe, où de la mort et du désespoir émergent une furieuse envie de vivre.
4.48 Psychose c’est la dernière danse d’une grande idéaliste porteuse d’une blessure béante qui cherche à tout prix à étreindre le monde. Sarah Kane opère ici une sublimation formidable en puisant dans la noirceur la plus pure pour en extraire une pièce d’une lumière électrique et dangereuse, irradiée du « soleil noir de la mélancolie »[2].
[1] Le théâtre de la cruauté – Antonin Artaud
[2] El Desdichado – Gérard de Nerval
4.48 Psychose de Sarah Kane
Mise en scène : Sylvie Des Bois
Traduction : Evelyne Pieiller
Avec Sylvie Des Bois et Thomas Nolet
Collaboration artistique : Milena Mc Closkey
Régie : Nicolas Flageul, Création lumières : Jules Poucet
Regard chorégraphique : Ségolène Gessa
Administration et diffusion : Ondine PolicandCo-production : Théâtre du Cercle de Rennes
Soutiens : CDN de Lorient via le dispositif de soutien à l’activité des compagnies théâtrales bretonnes, Ville de Quimper et le Théâtre Max Jacob, 48h en scène, La Martofacture, l’Orfèvrerie et l’Ecole Auvray Nauroy
La pièce 4.48 Psychose de Sarah Kane (traduction de Evelyne Pieiller) est publiée et représentée par L’ARCHE – éditeur & agence théâtrale. www.arche-editeur.com
25 février 2022 – création au Théâtre du Cercle à Rennes (35)
28 février et 1er mars 2022 – Théâtre El Duende à Ivry-sur-Seine (94)
31 mars 2022 – Théâtre Max Jacob de Quimper (29)
29 et 30 avril 2022 – Terrain Neutre Théâtre à Nantes (44)
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