Au Théâtre du Vieux-Colombier, Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux s’emparent de la comédie en un acte de Molière, et étirent leurs folles idées de mise en scène jusqu’à l’épuisement.
Capitons turquoises au mur, néons au plafond, piles de livres écroulées çà et là sur le plancher… Dans un savant mélange de tradition et de contemporanéité, Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux plantent d’entrée de jeu le décor. Leurs Précieuses ridicules seront résolument de notre temps, ancrées dans une ère où, plus encore qu’à l’époque de Molière, tout, à commencer par l’image de soi, doit être « pimpé », customisé, jusqu’à l’excès. Comme si, malgré l’alerte lancée au XVIIe siècle par le dramaturge français, les femmes et les hommes n’avaient, en définitive, rien appris ; comme si, au fil des années, ils n’avaient fait qu’aggraver leur cas et se vautraient toujours plus dans le snobisme et le ridicule où le besoin de paraître et la comédie sociale les précipitent, telles des victimes aveuglées par le strass et les paillettes.
Dans leur antre disco-flashy, Cathos et Magdelon, les fameuses « précieuses », ont l’allure de tiktokeuses et/ou d’instagrammeuses, prêtes à tout pour « en être », pour appartenir au gotha parisien qu’elles fantasment avec la naïveté des primo-arrivants. A La Grange et Du Croisy, à qui Gorgibus, leur oncle et père, les destine, elles réservent, malgré leur joli tour de chant, un accueil des plus méprisants au motif qu’ils seraient insuffisamment galants pour elles. Il n’en faut pas davantage pour donner au tandem éconduit l’envie de se venger et d’échafauder un stratagème machiavélique afin de rendre aux deux jeunes femmes la monnaie de leur pièce. A son valet Mascarille – que Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux transforment en ouvrier du bâtiment – et à son ami Jodelet – devenu déménageur –, La Grange demande de prendre les atours respectifs de marquis et de vicomte et d’aller à la rencontre des deux « précieuses », histoire de leur faire prendre des vessies pour des lanternes et de se payer leurs têtes.
De ce jeu de dupes en terrain social glissant, les deux metteurs en scène poussent volontairement les feux. Ils ridiculisent à l’envi Cathos et Magdelon, érigées en sottes qui pratiquent un ersatz d’art contemporain et s’affublent de leur autoportrait tel le dernier accessoire à la mode, tout comme Mascarille qui en vient, cruellement, à prendre ses propres rêves de grandeur pour la réalité. Dopé par la musique originale de Vincent Leterme, interprétée en live par Stéphane Varupenne, Sébastien Pouderoux et Lola Frichet (en alternance avec Edith Seguier), l’ensemble regorge de bonnes idées et de folles trouvailles, mais, plutôt que de partir du texte de Molière, où le comique repose tout entier sur les écarts de langue, devenue à ce point ampoulée et pleine de forfanteries qu’elle confine au non-sens, le duo a tendance à le considérer comme un prétexte. Si la prose du dramaturge est là, elle ne nous parvient alors que très partiellement, étouffée par une vision survitaminée de la pièce qui trahit un manque de lecture stricte.
Surtout, le spectacle s’enferre dans un faux rythme qui ne parvient pas à générer une dynamique théâtrale suffisante pour créer un tourbillon délirant qui emporterait tout sur son passage. Comme s’ils voulaient gagner du temps pour donner une représentation viable de cette comédie en un acte, Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux étirent nombre de leurs idées de mise en scène jusqu’à l’épuisement, voire jusqu’à l’agacement, à l’image du petit numéro de Mascarille qui traîne en longueur, tout comme le bal de fin qui mériterait d’être davantage resserré pour révéler toute l’ampleur de sa cruauté. A force d’être sur-exploitées, les trouvailles du tandem tendent à perdre en puissance et à se vider de leur sens, jusqu’à donner une légère impression de vacuité. Reste que les comédiens-français s’imposent, comme toujours, comme les maîtres de la scène, capables, à commencer par Jérémy Lopez, truculent Mascarille, d’enflammer les planches et de faire rire aux dépens de leurs personnages. En cela, ils s’imposent comme les fidèles héritiers de Molière qui, à tous, tend un miroir, à peine déformant.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Les Précieuses ridicules
Comédie en un acte de Molière
Mise en scène Stéphane Varupenne, Sébastien Pouderoux
Avec Stéphane Varupenne, Jérémy Lopez, Sébastien Pouderoux, Noam Morgensztern, Claire de La Rüe du Can, Séphora Pondi, Lola Frichet en alternance avec Edith Seguier
Scénographie Alwyne de Dardel
Costumes Gwladys Duthil
Lumières Kevin Briard
Musique originale Vincent Leterme
Arrangements musicaux Vincent Leterme, Stéphane Varupenne, Sébastien Pouderoux
Assistanat à la mise en scène Aurélien Hamard-PadisDurée : 1h15
Théâtre du Vieux-Colombier, Paris
du 25 mars au 8 mai 2022
Spectacle vulgaire nul Après la grandeur la décadence
Spectacle assez imbécile, qui passe totalement à côté du sujet. Ce qui est montré comme « préciosité ridicule » n’est rien par rapport à celle d’avoir monté ainsi la pièce. Totalement d’accord avec votre critique et en particulier sur les longueurs, le carnage effectué sur le texte de Molière, l’agacement et l’impatience générés, et ceci malgré la qualité des comédiens.