Dans M.E.M.M – Au Mauvais Endroit au Mauvais Moment, la voltigeuse Alice Barraud accompagnée par le musicien Raphaël de Pressigny relate par les mots et les gestes l’expérience traumatique qu’elle a vécue : les attentats du 13 novembre 2015. Et surtout, elle dit sa reconstruction, sa réinvention. Délaissant la dimension collective de la tragédie endurée, l’artiste peine à rendre partageable son récit.
La menace de l’accident plane sur le circassien, qui bien souvent en fait un élément dramaturgique de ses spectacles. La peur de la chute, de la blessure, font ainsi partie du paysage du nouveau cirque. De même que la blessure réelle, et même parfois la mort. Dans Le membre fantôme par exemple, l’acrobate Karim Randé évoque l’accident de bascule coréenne qui lui a coûté l’une de ses deux jambes. Avec ses complices de sa compagnie BaNCALE créée suite à son amputation dans le but de « défendre le corps bancal », il dit aussi sa reconstruction. On se rappelle encore d’Acrobates, où Stéphane Ricordel et Olivier Meyrou rendaient hommage à Fabrice Champion, trapéziste des Arts Sauts mort en 2011. Avec M.E.M.M – Au Mauvais Endroit au Mauvais Moment, Alice Barraud s’inscrit en partie dans cette veine de la création circassienne consacrée au danger, à la catastrophe. À une nuance près, toutefois, qui fait la différence : ce n’est pas sur la piste que la voltigeuse s’est blessée le bras, au point de manquer de le perdre elle aussi, mais lors des attentats du 13 novembre 2015.
Si les accidents de la piste concernent essentiellement les artistes qui en prennent le risque, le malheur d’Alice Barraud touche bien plus de personnes : les autres victimes des attentats, et plus largement la population française, qui à travers les morts et blessés dans les cafés et restaurants parisiens s’est vue visée dans son quotidien, dans sa liberté. Dans Revoir Paris de la réalisatrice Alice Winocour sorti en salles début septembre, le personnage incarné par Virginie Efira rend très bien compte de cette dimension collective qu’a toute tragédie individuelle liée au 13 novembre. Rescapée de l’attentat, l’héroïne rencontre en cherchant à vaincre son amnésie post-traumatique celles et ceux qui étaient avec elle, « au mauvais endroit au mauvais moment » pour reprendre le sous-titre d’Alice Barraud à qui cette formule a été très souvent servie pendant sa longue convalescence. En quête de celui qui lui a tenu la main pendant l’attaque, la protagoniste de Revoir Paris, traductrice du russe, va jusqu’à aller à la rencontre d’un univers éloigné du sien : celui des migrants.
Rien de tel chez Alice Barraud. Depuis le récit de la soirée entre amis qui l’a menée au Petit Cambodge jusqu’aux scènes finales la montrant capable de refaire des choses auxquelles elle avait pensé devoir renoncer ou en accomplir de nouvelles, développées pour palier à son handicap, M.E.M.M demeure centré sur les douleurs intimes de l’artiste. Si toute douleur ou expérience personnelle possède une dimension universelle, le spectacle peine à en rendre compte. Plusieurs choix esthétiques d’Alice Barraud, qui s’expliquent sans doute en partie par une forme de pudeur, tendent à limiter la portée de sa création. À commencer par son usage de l’humour, qui en plus de mettre à distance l’horreur de l’événement en question a tendance à en donner une lecture assez artificielle. Nulle réflexion sur les causes de l’attentat, ni sur ce qu’il implique pour le collectif. Même les conséquences du traumatisme sur la pratique circassienne de l’artiste sont abordées de manière assez superficielle : le choc, les difficultés à se reconstruire avec un corps différent sont formulées, mais guère beaucoup creusées.
La présence au plateau du musicien Raphaël de Pressigny, batteur du groupe Feu ! Chatterton qu’Alice Barraud présente comme son compagnon, aurait pu amener à M.E.M.M l’altérité manquante. Mais si elle rythme parfaitement le spectacle structuré en numéros détournant pour beaucoup les objets de l’hôpital qui composent le décor du spectacle – un lit médicalisé trône au milieu de la scène –, sa musique illustre le récit du combat solitaire de la voltigeuse davantage qu’elle ne l’ouvre à d’autres sensibilités. L’artiste effleure une possibilité d’ouverture lorsqu’elle évoque ses complices de la Compagnie Le P’tit Cirk avec qui elle a joué le spectacle Les Dodos : « il te reste un bras et deux jambes : on va trouver des trucs », se rappelle-t-elle qu’ils lui disent alors qu’elle est en pleine rééducation.
Le cirque étant un art qui, à de rares exceptions près dont fait partie M.E.M.M – et encore, le spectacle a été écrit par trois personnes : Alice Barraud, Raphaël de Pressigny et Sky de Sela, et fait intervenir un constructeur, un régisseur… – se pratique à plusieurs, l’accident interroge forcément un, voire plusieurs groupes. Il pourrait questionner aussi le sens du cirque, ses diverses formes possibles. La beauté esthétique de M.E.M.M ne suffit pas à compenser le manque de ces réflexions. S’ils donnent à voir la manière dont l’artiste a su s’arranger avec son handicap, notamment en dansant davantage, les différents tableaux qui forment la pièce ne permettent pas de comprendre les détails du processus. Or c’est souvent par le détail que l’on atteint au général.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
M.E.M.M – Au Mauvais Endroit au Mauvais Moment
De et avec Alice Barraud et Raphaël de Pressigny
Ecrit et mis en scène par Sky de Sela, Alice Barraud et Raphaël de Pressigny / création lumière Jérémie Cusenier
Régie lumière Jérémie Cusenier / Thomas Kirkyacharian
Régie Son Wilfried Simean / Hugo Barr
Régie accroches Fred Sintomer / costumes Anouk Cazin
Constructeur / Ingénieur Robert Kieffer
Photographie et image vidéo Aristide Barraud
Graphisme Sandra Dubosq
Production Délégué du Prato
Pôle National Cirque de Lille
La Comédie – SN Clermont Ferrand
Les 3, 4 et 5 octobre 2022Le Boulon – CNAREP Vieux Condé
Les 14 (scolaire) et 15 octobre 2022Espace Germinal, Scènes de l’Est Valdoisien à Fosses
Le 27 janvier 2023Théâtre de Jouy / Direction de la Culture de Jouy-le-Moutier
Le 31 janvier 2023ECAM, Espace Culturel André Malraux à Kremlin-Bicêtre
Le 3 février 2023Le Mans Fait son Cirque
Les 10, 11 et 12 février 2023La Halle aux Grains – Scène Nationale à Blois
Les 2 et 3 mars 2023Gallia Théâtre, Scène conventionnée à Saintes
Le 10 mars 2023Jeliote – Centre National Marionnette à Oloron-Sainte-Marie
Le 31 mars 2023Scène Nationale Carré Colonne à Saint-Médard-en-Jalles
Les 4 et 5 avril 2023La Piste aux espoirs à Tournai – Belgique
Le 8 ou 9 avril 2023Espace Culturel A. Poher / Les Bords de Scène à Ablon-sur-Seine
Le 18 avril 2023Théâtre Jean Arp à Clamart – OPTION
Le 21 avril 2023Cirque Théâtre, Pôle National Cirque Normandie à Elbeuf
Les 26 et 27 mai 2023Festival Les Utopistes / Théâtre de La Croix Rousse à Lyon
Les 31 mai, 1 er et 2 juin 2023
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