A travers cette nouvelle création, l’artiste transmet son appétit performatif de la scène aux jeunes comédiennes et comédiens formés à l’Ecole du TNB, et confirme que ces lieux d’apprentissage sont bien des îlots d’audace et d’excellence artistiques.
Il est le premier à sculpter l’espace comme on viendrait lui offrir une identité, lui, ce fantôme, qui surgit, sans crier gare, du dessous d’une plaque d’égout. Mal assuré, malhabile, il déambule à pas comptés dans cet endroit à la neutralité anthracite et à l’exiguïté calculée, telle une reproduction de la minuscule salle Paradis du Théâtre National de Bretagne où avait été créée, il y a plusieurs mois, par Phia Ménard et les élèves-comédiens de la promotion 10 de l’Ecole du TNB, la toute première version de Fiction Friction. Aux deux issues de secours à cour et à jardin, l’ectoplasme réserve le même sort : il brise, presque par mégarde, leur système d’ouverture et, ce faisant, les condamne – ou peut-être l’étaient-elles déjà. Alors, les jeunes gens qui ne tardent pas à prendre sa suite devront faire avec, et transformer ce lieu contraint, restreint, bloqué, qui leur a été imposé, en espace de tous les possibles, en berceau de leur monde nouveau.
Ils sont 18, en tout, à débarquer ici, à la manière de réfugiés-naufragés, enveloppés dans des couvertures de survie au scintillement quasi prophétique. A leur arrivée, la promesse est belle : « Welcome to Paradise » est-il inscrit sur le sol et les murs, après un réagencement par leurs soins des lettres en bâtonnets disposées là. A ceci près que, une fois la fête consommée et les corps éreintés, l’envie de pousser les murs de cet endroit qui, s’il avait pu, un court instant, passer pour un refuge, n’est, en réalité, qu’une prison, se fait plus forte que tout. Malgré la volonté acharnée de tous, l’enceinte, si elle tend à s’effriter, résiste à leurs coups de boutoir, alimentés par l’énergie du désespoir, et de la désillusion. Face à ce constat d’échec, la troupe n’a d’autre choix que d’opter pour une autre voie : sculpter, à son tour, l’espace, et dessiner un monde à la craie sur les murs, afin d’ouvrir des perspectives. Comme si le recours à l’art pariétal permettait un retour, quasi anthropologique, aux sources de l’humanité, mais aussi à l’enfance pour, tout à la fois, lui dire adieu et se servir de la puissance de l’imaginaire qui lui est liée afin d’exploser les cadres.
Mutique de bout en bout, Fiction Friction se charge alors d’une parole paradoxalement lumineuse, qui dialogue non pas par les mots, mais par les corps. Car l’expérience conduite par Phia Ménard ne peut se comprendre qu’en rapport avec l’étroitesse du plateau sur laquelle elle prend forme, et vie. A une époque où la prime va à la radicalité, la performeuse ausculte l’art, presque doux, de l’influence de proche en proche, de la contagion des mouvements corporels, du dérèglement quasiment imperceptible à l’échelle individuelle, mais qui, une fois transmis à tout un collectif, se meut en une force motrice, et ravageuse. Surtout, elle joue avec les frictions permanentes entre le groupe et les individus générées par le caractère exigu de l’espace. A ces jeunes comédiennes et comédiens, elle transmet la nécessité d’être ensemble, de jouer ensemble, de constituer un corps unique pour accoucher de tableaux au cordeau. Tout en offrant à chacun des partitions solos pour se démarquer, et allier plus que nier les singularités, elle mise, de façon constante, sur l’entraide et l’association pour dépasser les tensions, repousser les murs et révéler le potentiel édificateur d’un groupe dans une entreprise de (re)construction.
Se dégage alors une organicité rare de cet ensemble, où tout, des lumières de Manon Pesquet aux déplacements des corps, de la musique composée par Valentin Clabault et Maxime Crochard aux costumes hauts-en-couleur de Myriam Rault, concourt à tout, et influe sur tout, comme si un même flux vital traversait chaque élément. Après Opérette et Mes parents, les jeunes actrices et acteurs de la promotion 10 de l’Ecole du TNB prouvent, une nouvelle fois, qu’ils sont, déjà, des artistes complets, affirmés, singuliers, riches en énergie, et en précision, capables de mettre toute leur jeunesse dans la balance pour dépasser l’impasse et la déréliction. Ce spectacle-là, avec ces jeunes-là, à cet âge-là, dans cette époque-là n’a, en définitive, rien d’un hasard. A eux aussi, on a promis, tant professionnellement que personnellement, un paradis, aujourd’hui en passe d’être perdu avant même d’être acquis. Gageons qu’avec leur talent, et certains comme Aymen Bouchou – truculent dans L’Assignation de Tania de Montaigne – ou Maxime Thébault – magnétique dans Kliniken de Julie Duclos – en font déjà la preuve, ils sauront traverser et dépasser les éventuelles frictions qu’ils croiseront sur leur chemin.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Fiction Friction
Conception, scénographie et mise en scène Phia Ménard
Avec les jeunes acteur·rices issu·es de la promotion 10 de l’Ecole du TNB Hinda Abdelaoui, Olga Abolina, Louis Atlan, Laure Blatter, Aymen Bouchou, Clara Bretheau, Valentin Clabault, Maxime Crochard, Amélie Gratias, Alice Kudlak, Julien Lewkowicz, Arthur Rémi, Raphaëlle Rousseau, Salomé Scotto, Maxime Thébault, Lucas Van Poucke, Mathilde Viseux, Lalou Wysocka
Assistanat à la mise en scène Clarisse Delile
Musique Valentin Clabault, Maxime Crochard
Lumières Manon Pesquet
Son Vincent Buret
Costumes Myriam RaultProduction Théâtre National de Bretagne
Avec le soutien du dispositif d’insertion de l’Ecole supérieure d’art dramatique du TNBDurée : 1h15
Théâtre National de Bretagne, Rennes
du 15 au 19 février 2022
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