Pièce itinérante et in situ, Pénélopes est recréé par le collectif Das Plateau dans chaque ville à partir de témoignages de femmes sur leur liberté. Porteuse de leurs paroles très diverses avec lesquelles elle entretient une distance très juste, l’excellente Maëlys Ricordeau a l’art de transformer l’intime en commun.
Avec Pénélopes, Das Plateau se met à nu. Formellement loin des autres pièces très visuelles et immersives du collectif, cette pièce entame le 1er décembre 2023 les représentations de sa 8ème version à l’A.E.R.I, petit lieu montreuillois qui abrite une grande mais concrète utopie : « construire la coexistence et la solidarité dans un environnement urbain qui nous divise et nous isole, en développant des formes de relation aux autres et à soi-même qui rompent avec les systèmes de domination qui prévalent aujourd’hui », lit-on sur le site internet de l’association. La taille de l’utopie A.E.R.I n’étant aucunement relative aux mètres carrés qu’elle occupe près de la Croix de Chavaux, on devine d’emblée, alors qu’on nous demande d’attendre dans la salle principale – là où d’habitude on mange syrien grâce à une cantine solidaire, où probablement se tiennent aussi une partie des ateliers donné par les membres de la structure –, que le collectif a avec cette pièce renoncé aux scénographies très visuelles dont il a fait une part importante de son identité depuis sa naissance en 2008. La chose se confirme lorsqu’on entre dans la salle de réunion aménagée spécialement pour Pénélopes.
Ici, pas de place pour de grands paysages pareils à ceux du Petit Chaperon rouge (2022), ou pour l’hypnotique espace mentale de Poings (2020), récit d’une histoire d’amour toxique dont le texte est signé par Pauline Peyrade. Serrés les uns aux autres sur des gradins de fortune, c’est sans filtres, dans une proximité que ne permet pas même le plus minuscule des théâtres de poche, que les spectateurs rencontrent Maëlys Ricordeau. Co-fondatrice de Das Plateau avec Céleste Germe qui ici comme d’habitude la met en scène, ainsi qu’avec l’auteur/compositeur Jacob Stambach – il signe la musique de Pénélopes et assure la direction du travail sonore – et l’auteur/danseur Jacques Albert, la comédienne revient ici aux fondamentaux de son métier après en avoir exploré des formes très contemporaines. En prenant le centre du plateau déjà, qu’elle partage dans les autres productions de la compagnie à part égale ou presque avec la vidéo ou encore le son, l’artiste fait un pas de côté par rapport à l’univers qu’on lui connaît. À la frontière entre incarnation et simple restitution de paroles, son jeu donne aussi à approcher l’endroit où commence le théâtre.
Pénélopes a été parfaitement pensé et calibré en fonction des lieux où il allait devoir jouer, et des personnes devant qui il devrait le faire. Conçue pour tous types de lieux – médiathèques, Ehpad, foyers, maisons d’arrêt… – et en direction des habitants des quartiers alentours, cette pièce voyageuse a déjà connu bien des aventures avant de faire escale à l’A.E.R.I puis dans d’autres espaces montreuillois non-dédiés au théâtre. Elle a connu aussi bien des métamorphoses. Car dans chaque ville où Das Plateau séjourne pour ce spectacle – elle a fait jusque-là Les Ullis, Tarbes, Nanterre, Vitry, Lyon, Vire et Brétigny, et ira après Montreuil à Marseille et Oyonnax –, Céleste Germe et Maëlys Ricordeau partent à la rencontre de nouvelles femmes. Une voix off qui ouvre et rythme le spectacle laisse entrevoir le processus de travail des deux artistes, ce qui contribue à la nécessaire humilité, à la justesse de la proposition. Pénélopes fait d’emblée descendre le mythe de ses cimes. Il le met à portée de rue, en plein dans le quartier. En expliquant au seuil de la pièce être parti du mythe de l’épouse d’Ulysse pour interroger la liberté des femmes d’aujourd’hui, Das Plateau nous fait comprendre que cette création est pour lui moins un objet à part qu’il y paraît. Après avoir beaucoup questionné le féminin par la fiction, le collectif fait un bain dans le réel, histoire sans doute de de ne pas s’éloigner de son sujet.
Munie d’une oreillette lui diffusant les témoignages recueillis et d’un tas de petits accessoires qu’elle sort d’un sac, Maëlys Ricordeau nous donne à entendre plusieurs femmes qu’elle a rencontrées, plusieurs Pénélopes selon la lecture qu’elle et Céleste Germe font de ce personnage. Pour elles en effet, l’épouse d’Ulysse n’est pas seulement soumise à l’attente de ce dernier : elle affirme aussi sa liberté en refusant le remariage que veut lui imposer son père grâce au fameux stratagème du tissage chaque nuit défait. Dans les entretiens qui se succèdent, on retrouve en effet sous des formes très diverses le mélange de liberté et de contrainte qui caractérise la femme que l’on rencontre dans les pages d’Homère. En rendant visible le dispositif par lequel lui viennent les paroles qu’elle prononce, l’actrice se place à la distance qu’il faut avec elles. Les transformations qu’elle réalise avec finesse en enlevant l’un des nombreux vêtements qu’elle porte, en changeant de coiffure et d’intonation ne sont pas là pour nous donner une quelconque illusion de réel. Simples appuis pour nous permettre d’accéder à l’intime des différents témoins anonymes, ces légers artifices nous rappellent sans arrêt la dimension théâtrale du geste du geste auquel on assiste.
Si les violences décrites dans Pénélopes sont connues, les histoires dans lesquelles on les découvre, les mots par lesquelles elles sont dites nous les font apparaître dans toute leur singularité. Les chemins de libération des femmes auxquelles Maëlys Ricordeau porte sa voix sont encore plus particuliers. Ils sont d’autant plus passionnants à écouter qu’ils ne sont pas héroïques, que seul un rapport d’intimité peut les faire connaître. Pénélopes le fait avec force et délicatesse, et fait de ses récits en clair-obscur un endroit d’une extrême douceur, malgré les douleurs dont ils sont traversés. Ces Pénélopes sont nos voisines, c’est nous, et l’on sent en trinquant après le spectacle que le reconnaître voire le découvrir ouvre bien des perspectives.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Pénélopes
Collection de formes in situ d’après Homère et avec la parole de femmes du territoire
Mise en scène : Céleste Germe
Collaboratrice artistique et jeu : Maëlys Ricordeau
Composition musicale et direction du travail sonore : J. Stambach
Voix Habitantes du territoire
Régie générale : Pauline Samson
Régie son et vidéo : Émile Denize ou Arthur de Bary
Assistante à la mise en scène, dérushage : Mathilde Wind
Interviews menées par Céleste Germe et Maëlys Ricordeau
Administration, production, diffusion : Léa Coutel
Production Das Plateau
Coproductions et soutiens de la version initiale Espace culturel Boris Vian Les Ulis avec le soutien de la Ville des Ulis, du département de l’Essonne, de la Région Île-de-France et de la DRAC Île-de-France,
Coproduction de versions originales Le Parvis Scène Nationale de Tarbes-Pyrénées, Nanterre-Amandiers – CDN, Théâtre Jean
Vilar de Vitry-sur-Seine, Théâtre Nouvelle Génération centre dramatique national (Lyon), Théâtre Brétigny, scène conventionnée
d’intérêt national arts & humanités, Théâtre Joliette, Scène conventionnée art et création, Centre Culturel Aragon -Ville d’Oyonnax,
Théâtre Public de Montreuil, Centre dramatique national
Résidences et soutiens T2G – Théâtre de Gennevilliers, Odéon, Théâtre de l’Europe, Tréteaux de France – CDN, Espace culturel
Boris Vian Les Ulis, Le Mou!etard – Théâtre des arts de la marionnette, le Carreau du Temple, Maison Daniel Féry de Nanterre, La
Villette, Paris, Théâtre Ouvert – Centre National des Dramaturgies Contemporaines
Das Plateau est conventionné par la DRAC Île-de-France et soutenu par la Région Île-de-France au titre de l’aide à la permanence artistique et culturelle, et par le département de l’Essonne au titre de l’aide à la résidence territoriale.
Durée : 1h
Théâtre Public de Montreuil – TPM
Mardi 5 décembre à 20h
Centre de quartier des Ruffins
→ 172 bd. Théophile SueurMercredi 6 décembre à 15h et 20h
Centre social du Grand Air – Espace 40
→ 40 rue Bel airJeudi 7 décembre à 20h
Centre de quartier Les Ramenas
→ 149 rue Saint-DenisVendredi 8 décembre à 20h
Maison des associations et des initiatives citoyennes
→ 60 rue FranklinThéâtre Joliette – Marseille (Hors-les-murs)
Les 19 et 20 janvier 2024Centre culturel Louis Aragon – Oyonnax – (Hors-les-murs)
Du 5 au 8 mars 2024
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