A partir du souvenir d’un suicide adolescent, la pièce de Noëmie Ksicova explore subtilement un rapport singulier au deuil et met en avant la reconstruction des vivants.
Autrice et metteuse en scène, directrice de la compagnie Ex Oblique, Noëmie Ksicova écrit à partir d’une image qui lui est, aussi soudainement qu’imprévisiblement, revenue à l’esprit tandis qu’elle voyageait dans un train, celle du visage d’un camarade de lycée dont elle était amoureuse et qui s’est suicidé.
Il s’appelle Rudy, a 17 ans, est élève en section économique et social, arbore une allure sportive et nonchalante très adolescente. Attablé en famille à l’occasion de son dîner d’anniversaire, il présente ses proches qui affichent aisément une parfaite entente, une profonde unité. Et puis le drame survient. Et avec un formidable sens de la rupture et du contrepoint, Noëmie Ksicova décrit un imminent chaos émotionnel et existentiel en enveloppant de crépuscule l’espace et les personnages devenus les ombres d’eux-mêmes comme empêchés d’avancer, enlisés dans l’inactivité et l’incommunicabilité. Un travail éloquent sur l’éclairage et le son donne l’impression que le temps se fige. Tout se délite pour rendre pleinement palpable le manque, l’absence et le vide.
Pour autant, la dévastation se laisse voir sans aucun effet pléonastique ou hyperbolique : c’est toute la subtilité du geste sensible et délicat de mise en scène et d’écriture qui ne laisse aucune place à l’emphase, au commentaire, encore moins au jugement. La pièce s’emploie à simplement rendre compte de l’intimité et de la fragilité des êtres. Le jeu tout en juste intériorité des comédiens – les parents, Anne Cantineau et Antoine Mathieu, les adolescents Théo Oliveira Machado, Lumir Brabant, Juliette Launay – abonde dans ce sens.
Loss tend à démontrer que les vivants ont besoin des morts pour survivre. Ainsi, la famille ne peut se résoudre à l’inexistence du fils parti trop tôt et s’emploie au contraire à le garder près d’elle, à le rendre hyper présent comme s’il était vivant. Constamment ranimé par leur souvenir, Rudy demeure sous la forme d’un fantôme à l’occasion de furtifs passages. Sa petite amie, Noëmie, qui prend momentanément la place qu’il occupait dans le foyer familial, s’habille du sweat à capuche jaune qu’il portait et se laisse aller à le jouer pour le faire revivre. Sa présence consolatrice joue un rôle clé dans le retour à la vie et à l’union de la famille. C’est troublant et poignant.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Loss
Conception, texte et mise en scène Noëmie Ksicova
Collaboration à la mise en scène Cécile Péricone
Avec Théo Oliveira Machado, Lumir Brabant, Noëmie Ksicova en alternance avec Cécile Péricone, Anne Cantineau, Antoine Mathieu, Juliette Launay
Lumière Annie Leuridan
Scénographie Céline Diez
Compositeur Bruno MamanProduction Compagnie Ex-Oblique
Coproduction Campus décentralisé Amiens-Valenciennes Pôle européen de création le Phénix scène nationale de Valenciennes, la Maison de la Culture d’Amiens
Avec le soutien de la Région Hauts de France, de la DRAC Hauts de France, de la SPEDIDAM, de la Scène conventionnée de Noyon, de la Comédie de Bethune-Centre Dramatique des Hauts de France, du Théâtre Paris-Villette
Avec l’aide du Théâtre du ChevaletDurée : 1h05
Les Abbesses – Théâtre de la Ville
du 22 mars au 1er avril 2023
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