Performance inventive et plastique, Dadaaa créé par Amélie Poirier – artiste associée au Théâtre des Ilets – CDN de Montluçon-Auvergne et au Théâtre Le Grand Bleu à Lille – immerge avec bonheur dans l’univers de l’une des figures de ce mouvement, l’artiste Sophie Taeuber-Arp.
Créer un spectacle jeune public constitue toujours une gageure, en ce que l’appréciation de l’œuvre sera (d’abord) soumise à celle des adultes – que ce soit ceux qui produisent le spectacle, le programment ou qui accompagnent les enfants. Une particularité qui explique que certaines créations n’évitent pas l’écueil de vouloir davantage plaire aux seconds qu’aux premiers, au risque d’un propos convenu, mignonnet ou fleurant bon le didactisme. Ce défi est, peut-être, encore accentué lorsqu’il s’agit de s’adresser aux tout-petits – qui, ne maîtrisant pas la parole, seront bien en peine de confier leurs sentiments aux plus grands. Dans ce contexte, Dadaaa, proposition aventureuse et joyeuse des Nouveaux Ballets du Nord-Pas-de-Calais, n’en est que plus intéressante.
Pour ce spectacle, dont le titre même affirme déjà un goût du jeu, tant on entend ici le terme prononcé, répété, étiré, la metteuse en scène Amélie Poirier choisit de s’aventurer vers les terres de Dada. Né en 1916 pendant le chaos de la Grande Guerre à l’initiative de l’artiste Tristan Tzara, ce mouvement artistique pluridisciplinaire alliant contestation et enthousiasme entendait changer le monde par l’art. Si le terme « dada » ne signifie rien, il renvoie à un état d’esprit, dominé par un refus du sérieux et la revendication d’une vie intense et libre. Plutôt qu’une illustration de cet univers, c’est une immersion, une découverte sensorielle des productions de l’une de ses figures que proposent Amélie Poirier et son équipe. Dans un dispositif coloré, où des à-plats de couleurs géométriques figurant au sol résonnent avec ceux de deux vitraux, deux personnages sont en scène.
Il y a elle, danseuse-marionnettiste vêtue de vêtements colorés aux motifs géométriques, et lui, contre-ténor et musicien apprêté pour un concert un brin pailleté. Tandis que la jeune femme s’affaire, donnant la dernière touche de peinture aux marionnettes, de tailles et de formes diverses, disséminées sur le plateau, lui joue de l’alto et chante. Atelier d’artiste ? Galerie ou musée ? Quelle que soit la fonction de cet espace, nous sommes au cœur de la matière et du travail de Sophie Taeuber-Arp. Peintre, sculptrice et danseuse suisse ayant participé au mouvement dada, puis au surréalisme, celle dont l’artiste Jean Arp fut l’époux a développé progressivement une œuvre dominée par la géométrie et la conscience du rythme. Qu’il s’agisse des vitraux, des formes au sol ou des marionnettes, tout renvoie à son œuvre. Et c’est le jeu avec celle-ci, par l’exploration de l’espace, que réalise le duo.
Manipulant les marionnettes, jouant avec elles, dansant, déclamant des poèmes dada non intelligibles – inspirés d’Hugo Ball, de Raoul Hausmann ou de Kürt Schwitters – tous deux inventent, expérimentent, s’amusent. Dada refusant l’illustration et la figuration et revendiquant l’entremêlement des formes d’expression, Dadaaa fait de même. Il y a du cocasse là-dedans, de la joie et une légèreté communicatives. Rien n’est imposé, tout est offert avec simplicité et humour, l’élégance formelle, comme la création lumière subtile, accompagnant la découverte de cette poésie réjouissante, irradiante. Dans ce royaume du nonsense très plastique, les images sont dessinées en douceur et s’impriment dans le regard des spectateurs. Citons ainsi la transformation d’une lampe (évoquant par sa simplicité la servante, soit la lampe qui demeure allumée sur la scène entre des représentations et des répétitions) en phare guidant les bateaux dans la nuit. Une fois qu’ils auront arpenté leur territoire – rejoint parfois par une troisième larronne, marionnettiste et régisseuse – et que toutes les marionnettes (qu’elles soient à gaine, portées, etc.) auront été manipulées, chacun retrouve son rôle initial. Lui, chantant et jouant de l’alto, elle reprenant sa palette et ses pinceaux pour peaufiner son ouvrage. Le songe se dissipe, les spectateurs doivent quitter la salle, mais ils repartent l’esprit empli d’images, de sons, de formes et de couleurs.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Dadaaa
Chorégraphie, mise en scène et dramaturgie Amélie Poirier
Performer vocal Mathieu Jedrazak
Danseurs-marionnettistes Yves Mwamba, Marta Pereira, Clémentine Vanlerberghe, en alternance avec Jessie-Lou Lamy-Chappuis
Régie et construction des marionnettes Audrey Robin
Regard complice Carine Gualdaroni
Création lumière Henri-Emmanuel Doublier
Scénographie Philémon VanorléProduction Les Nouveaux Ballets du Nord-Pas-de-Calais.
Compagnonnage Bouffou Théâtre à la Coque (56)
Avec le soutien du CDCN Le Gymnase à Roubaix, du TJP – CDN de Strasbourg, du Tas de Sable-Ches Panses Vertes à Amiens et de la fondation Beaumarchais SACD (aide à la production et aide à la résidence)
Première esquisse dans le cadre du programme Prototype de la Fondation Royaumont.Amélie Poirier a reçu pour cette pièce la bourse à l’écriture chorégraphique de la fondation Beaumarchais-SACD.
Durée : 35 minutes
Festival Off d’Avignon 2021
Le Totem – Scène conventionnée Art, enfance, jeunesse
du 9 au 27 juillet 2021, à 9h45 et 11h40 (relâche le dimanche)L’Onde, Scène conventionnée danse et centre d’art de Vélizy
du 18 au 22 octobreLe Phénix, Scène nationale de Valenciennes
les 10 et 11 novembreLa Fabrique, Beauvois-en-Cambrésis
le 16 novembreLe Carré, Scène nationale et centre d’art de Château-Gontier
du 11 au 15 mars 2022Onyx, Scène conventionnée danse et cirque de St Herblain
les 16 et 17 marsDesvres, saison culturelle du Pas-de-Calais
les 12 et 13 avrilLe Palace, Montataire
les 18 et 19 mai
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