A la Chapelle des Pénitents Blancs, Victoria Duhamel livre une version jeune public de l’opérette d’Offenbach où la dimension ludique peine à masquer un manque de lecture de l’oeuvre.
Le 66 ! n’est certainement pas, et de loin, l’oeuvre la plus représentée d’Offenbach. Et pourtant, son livret, malgré sa simplicité enfantine, ne manque pas de sel. En route pour Strasbourg, deux voyageurs tyroliens sans-le-sou, Frantz et Grittly, chantonnent pour gagner leur vie. Le premier, promis à la seconde, achète en passant un ticket pour la loterie de Vienne avec un numéro qu’il espère gagnant, le fameux 66. Alors que l’homme rêve déjà à sa fortune prochaine, ce qui fait doucement sourire sa belle, un vendeur ambulant, sorte de Méphistophélès des grands chemins, surgit et leur annonce les résultats du tirage : le 66 est bien tombé et leur précieux ticket leur permettra d’empocher la coquette somme de 100.000 florins. La tête de Frantz se met à tourner et, poussé par le colporteur, le voilà qui se dote d’habits luxueux, à commencer par ce mouchoir en soie qu’il convoitait depuis si longtemps. Plus attachée à l’amour qu’à l’argent, Grittly, elle, reste de marbre, déçue par l’attitude de son fiancé qu’elle ne reconnait plus. Et c’est là que le couperet tombe. Quand le marchand demande à Frantz une caution pour garantir son paiement, l’homme lui révèle que son ticket ne porte pas le numéro 66, mais le numéro… 99. A cause d’une malencontreuse inversion, le tyrolien est désormais ruiné.
Face à cette opérette d’Offenbach, il est possible d’emprunter, au moins, deux voies théâtrales : d’un côté, celle purement moralisatrice qui condamne l’avarice de Frantz, prêt à se départir de l’être aimé pour les atours soyeux d’un marchand ambulant et, à travers eux, pour la richesse dans ce qu’elle a de plus vain ; de l’autre, celle de la parodie de ces mêmes pièces moralisantes, à laquelle pourrait inviter le final, paru sorti du chapeau d’un si mauvais auteur qu’il en devient grossier. Pour évacuer ce dilemme, et le dépasser, Victoria Duhamel choisit une troisième voie, sorte de trou de souris dramaturgique dans lequel elle tente de se glisser : et si, finalement, Le 66 ! n’était qu’un grand jeu, une grande loterie de la vie, dont Frantz et Grittly seraient les pantins, et les victimes ? Une façon aussi, pour l’artiste, de mettre son spectacle, ainsi doté d’une dimension participative, plus facilement à la portée du jeune public.
C’est alors à un diabolique bateleur, incarné par Paul-Alexandre Dubois, que la metteuse en scène intime de poser les règles du jeu. En préambule, il demande aux spectateurs de crier en choeur, et à la cantonade, leur jour de naissance. Un numéro qui n’a rien d’anodin puisqu’il peut être tiré au sort par la main innocente du pianiste Martin Surot et désigné ceux qui doivent répondre aux questions posées, au fil de la représentation, depuis le plateau vers la salle. Ludique dans son principe, cohérent dans son rapport à l’oeuvre d’Offenbach, ce loto à taille humaine se révèle malheureusement assez vain à l’épreuve des planches. Plutôt que de basculer dans un « spectacle dont vous êtes le héros », la proposition de Victoria Duhamel reste au milieu du gué et se contente d’interrogations anecdotiques ou de prises de position évidentes sur tel ou tel personnage, jusqu’à s’imposer comme un levier largement inefficace pour capter l’attention et conquérir les coeurs des plus petits – mais aussi des plus grands.
Surtout, il masque mal le manque de lecture qui handicape le travail de la metteuse en scène. Plutôt que de décortiquer l’opérette afin de lui donner une tonalité singulière, et accessible à tous, l’artiste se contente de la dérouler et de livrer un spectacle qui n’est rien d’autre que plaisant à regarder. D’autant que, s’ils donnent un vrai relief aux personnages qu’ils incarnent, les trois chanteurs, la soprano Lara Neumann, le ténor Flannan Obé et le baryton Paul-Alexandre Dubois, paraissent assez rapidement plafonner d’un point de vue strictement vocal et n’offrent aucun moment franchement mémorable. A l’avenant, le trio de musiciens, composé de la clarinettiste Rozenn Le Trionnaire, du tromboniste Lucas Perruchon et du pianiste Martin Surot, livrent une prestation qui, sans démériter, ne brille d’aucun éclat particulier. Le 66 ! en restant alors au premier stade du théâtre d’opérette.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Le 66 !
Musique Jacques Offenbach
Livret Philippe-Auguste-Alfred Pittaud de Forges et Laurencin
Transcription François Bernard
Mise en scène Victoria Duhamel
Avec Paul-Alexandre Dubois, Lara Neumann, Flannan Olé, et les musiciens Rozenn Le Trionnaire, Lucas Perruchon, Martin Surot
Scénographie Guillemine Burin des Roziers
Lumière et régie générale Félix Bataillou
Costumes Emily Cauwet-LafontProduction Bru Zane France
Coproduction Théâtre de Cornouaille – Scène nationale de Quimper, Maison de la culture de Bourges Scène nationale, Théâtre Montansier (Versailles), Opéra de Tours, Atelier lyrique de Tourcoing, Centre d’art vocal et de musique ancienne (Namur)
Avec l’aide des ateliers de l’Opéra de Tours pour la réalisation des décors et des costumes
Sur une idée du Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française (Venise)Durée : 1h10
Festival d’Avignon 2021
Chapelle des Pénitents blancs
du 13 au 16 juilletOpéra de Vichy
le 20 aoûtLa Barcarolle, Saint-Omer
le 15 octobreMaison de la Culture, Bourges
du 17 au 19 novembreThéâtre Montansier, Versailles
les 4 et 5 décembreAtelier lyrique de Tourcoing
le 12 mars 2022
Est-il bien nécessaire d’aller chercher une oeuvrette du 19è siècle marquée par son temps pour s’adresser au jeune public contemporain sur des questions morales qui s’incarner différemment de nos jours ?