Le tandem enflamme le plateau de la salle Richelieu et livre une version endiablée de la comédie-ballet de Molière. Il offre à la Comédie-Française un tube théâtral pour les saisons à venir.
Ces dernières années, on a vu Valérie Lesort et Christian Hecq réaliser quelques jolis coups : magnifier 20 000 lieues sous les mers de Jules Verne au Vieux-Colombier, encanailler Le Domino Noir et Ercole Amante à l’Opéra-Comique ou ressusciter La Mouche, d’après la nouvelle de Georges Langelaan, aux Bouffes du Nord. A chaque fois, le tandem, à la ville comme à la scène, a fait montre d’audace et d’inventivité pour bâtir et enrichir son univers poético-décalé, désormais reconnaissable entre mille. Des marionnettes fantasques aux machines magiques, des costumes ultra-sophistiqués aux personnages à l’identité pour le moins marquée, leurs créations ont, toujours, ce même charme fou et les vertus d’un antidote à la morosité. Une règle à laquelle leur version endiablée et baroque à souhait du Bourgeois Gentilhomme n’échappe pas. Pour leur premier spectacle sous les ors de la salle Richelieu, Valérie Lesort et Christian Hecq offrent à la Comédie-Française un tube théâtral pour les saisons à venir. Ni plus, ni moins.
D’abord parce que le duo ne s’est pas contenté de la prose de Molière, mais a, et c’est l’un de ses coups de génie, aussi conservé la partition de Lully. Ou presque. Car, plutôt que de la reprendre telle quelle, ils ont confié sa transposition aux musiciens Ivica Bogdanić et Mich Ochowiak. Façon de délaisser la pompe baroqueuse pour se convertir au rythme enlevé d’une musique d’inspiration balkanique, et d’équiper ainsi la comédie-ballet d’une fanfare – composée de Ivica Bogdanić, Rémy Boissy, Julien Oury, Alon Peylet, Victor Rahola et Martin Saccardy – aux cuivres bien balancés, capable de la mener tambour battant. Comme si tout, finalement, ne devait conduire, à tombeau ouvert, qu’à la « turquerie » finale, qui scelle le ridicule dans lequel Monsieur Jourdain, scène après scène, sous le regard et l’influence de son entourage, se vautre, à force de vouloir devenir à tout prix, y compris celui de son honneur, un gentilhomme.
En parallèle, Valérie Lesort et Christian Hecq sont allés dénicher l’humour partout où ils le pouvaient. Dans le texte, bien sûr, qu’ils font parfois malicieusement sonner d’une manière nouvelle ; dans les situations, surtout, qui donnent lieu à des moments de pure mise en scène à la fois impeccablement maîtrisés et puissamment accrocheurs, tels la faste réception organisée pour les beaux yeux de Dorimène, le numéro du maître de musique perturbé par deux moutons et un lama, et, comme une évidence, la cérémonie du Mamamouchi qui, en guise de bouquet final, regorge de créativité et brille par son caractère furieusement déjanté. Pour autant, sous leurs dehors foutraques, ces scènes cachent une mécanique de haute précision, où rien, absolument rien, n’est laissé au hasard. Des marionnettes de Carole Allemand et Valérie Lesort aux costumes de Vanessa Sannino, en passant par le décor d’Eric Ruf, aussi imposant que majestueux, tout confine à l’orfèvrerie théâtrale, jusque dans les moindres détails.
Une précision qui préside également, et ce n’est guère étonnant, au jeu de la quinzaine de comédiens-français présents au plateau, à commencer par Christian Hecq lui-même qui campe un irrésistible Monsieur Jourdain doux-amer, à la manière d’un François Pignon de l’ère classique. Galvanisés par la proposition totale de leurs deux metteurs en scène, quelques fois physiquement méconnaissables, tous poussent leurs personnages dans leurs retranchements comiques, à commencer par le précieux maître à danser, Gaël Kamilindi, l’horrifique maître de philosophie, Guillaume Gallienne, la revêche femme de Monsieur Jourdain, Sylvia Bergé, le dégingandé Dorante, Clément Hervieu-Léger et la peste en meringue Dorimène, Françoise Gillard. A l’aise avec les mouvements savamment chorégraphiés par Rémy Boissy qui, loin de se transformer en carcan, sont une force sur laquelle s’appuyer, ils prennent un plaisir à jouer qui est un régal à voir. Sans jamais oublier, cerise sur la gâteau, que cette comédie-ballet n’est pas qu’une farce drolatique, mais qu’elle a aussi la dérangeante cruauté, et la profondeur, d’un bal de cons.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Le Bourgeois Gentilhomme
Comédie-ballet de Molière
Mise en scène Valérie Lesort et Christian Hecq
Avec Véronique Vella, Sylvia Bergé, Françoise Gillard, Laurent Stocker, Guillaume Gallienne, Christian Hecq, Nicolas Lormeau, Clément Hervieu-Léger, Gaël Kamilindi, Yoann Gasiorowski, Jean Chevalier, Géraldine Martineau, Antoine de Foucauld, Nicolas Verdier, et Ivica Bogdanić, Rémy Boissy, Julien Oury, Alon Peylet, Victor Rahola, Martin Saccardy
Scénographie Éric Ruf
Costumes Vanessa Sannino
Lumières Pascal Laajili
Musiques originales et arrangements Mich Ochowiak et Ivica Bogdanić
Travail chorégraphique Rémi Boissy
Marionnettes Carole Allemand et Valérie Lesort
Assistanat à la mise en scène Florimond Plantier
Assistanat à la scénographie Julie Camus
Assistanat aux costumes Claire Fayel de l’académie de la Comédie-FrançaiseDurée : 2h20
Comédie-Française, Salle Richelieu
du 7 mai au 24 juillet 2022
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