Associée au Théâtre des Quartiers d’Ivry avec sa compagnie LA BASE et également accueillie en résidence par le Festival Théâtral du Val d’Oise, le Théâtre de Rungis et l’Espace 1789 de Saint-Ouen, la metteuse en scène et autrice Tamara Al Saadi crée Brûlé.e.s. Un spectacle qui questionne par le double biais de la fiction et du documentaire l’omniprésence des stéréotypes comme la violence qui en découle.
Sur le programme de salle distribué aux spectateurs assistant aux représentations de Brûlé.e.s dans le cadre du festival À Vif organisé par le Le Préau, une mention les invite à partager leurs ressentis et retours sur l’œuvre. Elle qualifie, au passage, l’ensemble des spectacles réunis dans le cadre du festival de « volontairement dérangeants, polémiques ou bouleversants. » C’est que cette manifestation, auparavant dénommée festival Ado et portée par Le Préau – Centre dramatique national de Vire, entend proposer à un public d’adolescents et d’adultes des œuvres en prise avec le monde. Soit des spectacles qui déplacent, suscitent des échanges avec les spectateurs et ne laissent pas ces derniers indifférents.
Une démarche qui s’incarne avec justesse dans Brûlé.e.s, tant la pièce écrite et mis en scène par Tamara Al Saadi repose sur un rythme vif, une écriture nerveuse et un dispositif percutant invitant à la discussion. Se déroulant dans une scénographie sommaire – en quadrifrontal, avec un banc pour seul élément de décor – qui offre les comédiens à tous les regards, la pièce en elle-même est très courte : d’une vingtaine de minutes, elle raconte l’histoire de cinq adolescents. Ilham, Sarab, Malak, Raja et Minah se retrouvent enfermés une nuit dans leur établissement scolaire. Les quatre premiers font partie d’une bande emmenée par Ilham. Ce n’est pas le cas de la cinquième, Minah, qui, isolée, subit quolibets et humiliations. Lors de cette nuit ils vont s’affronter et la place de chacun va être remise en jeu – la pièce se terminant sur un incendie déclenché par l’un d’eux. Le spectacle pourrait s’en tenir là. Sauf que comme l’exposent les comédiens en introduction, la pièce est jouée deux fois : un protocole spécifique donne lieu à une distribution des rôles renouvelée – tous les prénoms étant mixtes et tous les rôles étant connus des interprètes.
Il ressort de ce dispositif un pur plaisir, direct, assez jouissif, de théâtre. Plaisir de voir de jeunes et excellents comédiens (Hicham Boutahar, Saffiya Laabab, Elise Martin, Alexandre Prince, Frederico Semedo) se saisir de rôles différents sous nos yeux. Et si les interprètes se préparent à l’abri de nos regards pour la première interprétation, c’est au vu du public que chacun se vêtit et se grime pour la seconde – manière d’acter la participation du public à cette version. Plaisir, aussi, de découvrir d’autres possibles pour chaque personnage : ainsi, à une Ilham déterminée, sèche et mutine (jouée par Élise Martin) passant de la séduction à un ton cinglant, succède un Ilham (incarné par Frederico Semedo) très narquois, volontiers désinvolte et moqueur. D’une version à l’autre se révèle les hiérarchies, les dynamiques de groupe, la mise en place de rapports de force comme les mécaniques de harcèlement et d’oppression. L’on se prend à rêver de pouvoir assister aux vingt-cinq combinaisons de distribution possibles et d’entendre dans les écarts de construction des personnages à chaque fois le texte de manière renouvelée.
Brûlé.e.s aurait pu s’en tenir là, livrant dans ses deux gestes successifs et dans sa langue abrupte un portrait cru de l’adolescence et de la manière dont la violence sociale et le harcèlement peuvent innerver cet âge de la vie. Sauf que Tamara Al Saadi et son équipe y adjoignent une troisième et ultime partie. Prenant le public par surprise, cette dernière offre dans des paroles intimes un contrepoint pertinent aux séquences qui précèdent. Cette fois ce n’est plus par le biais de la fiction, mais par celui du documentaire et de témoignages sensibles que nous découvrons les comédiens. Ce faisant, la persistance des préjugés inconscients et la manière dont ceux-ci écrasent les individus, les stigmatisent (l’homme noir forcément dangereux, la femme blanche obligatoirement douce « pour ne pas dire inoffensive ») est ici nommée frontalement. Elle peut alors renvoyer aux deux versions du spectacle qui ont précédées, soit autant à la manière dont les clichés ont été prolongés ou pas par les deux distributions, qu’à la façon dont les stéréotypes ont été bouleversés. Mais ces témoignages amènent également possiblement chaque spectateur à relier les expériences évoquées à son propre vécu et l’invite à déconstruire son regard sur l’autre, sur les autres.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Brûlé.e.s
ÉCRITURE ET MISE EN SCÈNE
Tamara Al Saadi (éd. Koïnè, juin 2020)ASSISTANAT À LA MISE EN SCÈNE
Kristina ChaumontAVEC
Yohann-Hicham Boutahar, Chloé Saffiya Laabab, Elise Martin, Alexandre Prince, Frederico SemedoSON
Fabio MeschiniSCÉNOGRAPHIE ET CONCEPTION TECHNIQUE
Jennifer MontesantosCOSTUMES
Pétronille SaloméCRÉATION 2020
Compagnie LA BASECOPRODUCTION
Le PréauPRODUCTION
PRODUCTION
Compagnie LA BASECOPRODUCTION
La Comédie, Centre Dramatique National de Reims, Le Préau Centre Dramatique National de Normandie – Vire, Le CENTQUATRE- PARISAVEC LE SOUTIEN DE
SPEDIDAM, Ecole de la Comédie de Saint-Etienne / DIESE # Auvergne -Rhône-Alpes — Fonds d’Insertion pour Jeunes Artistes Dramatiques, D.R.A.C. et Région SUDLe Quartz – Scène nationale de Brest
du 2 au 7 octobre 2021Théâtre Gérard-Philipe – CDN, Saint-Denis
les 13 et 16 octobreL’Arsenal, Val de Rueil
les 25 et 26 novembreThéâtre de Rungis
le 17 janvier 2022Forum Meyrin, Suisse
les 24 et 29 janvierThéâtre en territoire, avec le PIVO, Villiers-le-Bel
le 21 marsCDN de Normandie-Rouen
les 9 et 10 maiCentre Culturel l’Imprévu, St-Ouen-l’Aumône
le 13 mai
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !