Avec ce dispositif singulier et transportable à souhait, le directeur du CDN Drôme-Ardèche, Marc Lainé, entend aller à la rencontre des publics particulièrement empêchés. Dans les semaines à venir, sept artistes participeront à ce projet hors norme au côté de plusieurs établissements de soins de la région.
C’est une petite boîte étrange, presque hors du temps. Une sorte d’appareil photo sorti du fond des âges que l’on aurait dépouillé de son objectif, agrandi et customisé, et sur lequel aurait été posé un drap, histoire de pouvoir faire le noir. Avec ses dimensions modestes – 2,25 m de hauteur sur 1,5 m de largeur et 2,45 m de profondeur –, elle reste à taille humaine et ne peut d’ailleurs accueillir qu’une seule et unique personne. A mi-chemin entre le théâtre ambulant et le Photomaton, ce « Théâtromaton », c’est son nom, a gardé le meilleur des deux mondes, la magie du premier et la praticité du second. « Il était important pour moi que, dans sa matérialité même, l’objet évoque le mystère de la cage de scène », résume Marc Lainé.
Avec l’architecte et scénographe Stephan Zimmerli, le directeur de la Comédie de Valence a conçu ce drôle d’OTNI pour aller à la rencontre des publics empêchés. A partir du 27 avril, et jusqu’au mois de septembre, ce mini théâtre se déplacera dans sept établissements de soins de la Drôme et de l’Ardèche – le foyer d’accueil médicalisé La Rose des vents de Privas, le centre médical de la TEPPE à Tain-l’Hermitage, les centres hospitaliers de Drôme-Vivarais et de Valence, le foyer hébergement et le foyer de vie de l’association La Providence à Saint-Laurent-en-Royans et l’association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées de Drôme-Ardèche à Porte-Lès-Valence. « Depuis le début de la crise, nous menons des ateliers artistiques avec l’ensemble de ces publics, mais j’ai récemment pris conscience que, lors de ces sessions en visioconférence, on se retrouvait dans l’espace intime des personnes, ce qui pouvait couper une partie de l’imaginaire, explique Marc Lainé. Il fallait donc trouver un moyen de renouer avec la ritualisation et la puissance d’inspiration des ateliers traditionnels. »
Partenaire pérenne
De rituels, le Théâtromaton ne manque justement pas. Une fois installé au coeur du dispositif, accessible aux personnes à mobilité réduite, le participant tire le rideau occultant et acoustique pour s’isoler. Dans cet espace théâtralisé, et à bien des égards énigmatique, il a, face à lui, un tableau de bord minimaliste, conçu pour choisir l’atmosphère lumineuse et les réglages sonores adéquats. « Cela constitue déjà une manière d’entrer en dialogue avec l’artiste qui va lui faire face », souligne Marc Lainé. Car, derrière le cadre lumineux, se dessine bientôt, en vidéo, le visage de celui ou de celle avec laquelle, pendant une heure, le participant va créer et échanger en direct. Et, au total, ils sont sept – Lélio Plotton, Léopoldine HH, Tünde Deak, Pierre Maillet, Jérôme Thibault, Géraldine Berger et Lucía García Pullés – à avoir accepté de se prêter au jeu. « Ce sont tous des artistes de la saison qui, chacun dans leur discipline, de l’écriture à la danse en passant par la langue des signes, ont rêvé des projets dans l’absolu, avant des les affiner en fonction des publics avec lesquels ils allaient travailler », précise le directeur de la Comédie de Valence.
Quand Léopoldine HH travaillera sur des échanges de chansons et de souvenirs liés à l’enfance et Lélio Plotton sur des vignettes sonores composées à partir des bruits du quotidien des participants, Tünde Deak fera du Théâtromaton une « grotte » – dans la veine de L’Homme-boîte de Kōbō Abe qu’elle avait monté il y a quelques années – où naîtront des relations épistolaires entre inconnus. « Chaque occupant recevra une lettre de celui qui l’a précédé et doit en écrire une pour son successeur, détaille l’autrice et metteuse en scène. L’exercice est assez ouvert, mais je souhaiterais que chacun témoigne de quelque chose qu’il a envie de dire, comme s’il jetait une dernière bouteille à la mer. » A chaque fois, le participant devra lire la lettre reçue, puis celle qu’il envoie, de façon à ce que les missives soient toutes lues par deux voix différentes. « Je suis persuadée que, lors de ce dialogue intime d’une heure, ce qui peut paraître à la fois très long et très court, mille et une choses peuvent se passer et se dire », anticipe Tünde Deak.
A l’issue des différents ateliers, tous les artistes pourront, s’ils le souhaitent, fabriquer un objet filmique à partir des éléments récoltés afin de pouvoir garder une trace de l’expérience. « Même si le Théâtromaton est né dans le contexte de la crise sanitaire, nous l’avons construit dans une logique pérenne pour en faire un nouveau partenaire de la Comédie de Valence, assure Marc Lainé. Pour moi, il s’agit d’un prototype que nous pourrions continuer à faire tourner la saison prochaine, avec, peut-être, de nouveaux artistes et à l’attention, qui sait, d’autres publics. »
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
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