Carnets de création (27/28). Collaborateur régulier de Christophe Honoré et de Galin Stoev, à 35 ans, Alban Ho Van aime les scénographies architecturées qui savent rester discrètes. Entre nouvelles contraintes et inspirations illustres, portrait d’un scénographe d’aujourd’hui.
Alban Ho Van est arrivé comme par hasard à la scénographie. En arts déco à Strasbourg après les arts appliqués à Paris, une étudiante en dramaturgie du TNS lui fait découvrir le théâtre. Il commence seulement alors à fréquenter les salles de spectacle vivant, est attiré par la pluridisciplinarité du travail, la possibilité de varier les projets, le caractère collectif et partagé des aventures. Alors qu’il connaît pour ainsi dire tous les élèves de l’école du TNS pour les fréquenter quotidiennement, il tente et réussit le concours en section scénographie. 15 ans plus tard environ, il a notamment travaillé pour Christophe Honoré et Galin Stoev au théâtre, Clément Cogitore à l’opéra, et signé au passage des projets scénographiques marquants. L’espace ouvert de Nouveau Roman où circulaient les personnages gravitant autour des Éditions de Minuit – Duras, Robbe-Grillet, Claude Simon, Jérôme Lindon… – aura lancé sa carrière. Pour ce projet, Christophe Honoré lui fait confiance alors qu’il vient de le rencontrer comme stagiaire sur Le Tyran de Padoue. Alban sort à peine de l’école. « C’était une chance incroyable. Cela m’a donné des contacts pour travailler pendant au moins trois ans ». Mais surtout le spectacle permet au jeune diplômé de « trouver un équilibre optimal entre un plateau qui est très scénographié et apparaît comme un plateau nu à la fois ». Entre volonté de poser un geste scénographique et désir de se faire discret, pour lui, la bataille est lancée.
« Je préfère quand on a l’impression qu’il y a de la vie depuis longtemps dans la scéno, éviter le côté sortie d’atelier. Sinon, on risque de tenir le spectateur à distance ». Alban Ho Van opte pour une forme de dissimulation du décor. Qu’il penche vers l’abstraction ou le concret, ce dernier doit s’intégrer à la scène, ne pas se montrer en tant que tel. A coup de « patine », de couleurs « neutres, pâles, de tons naturels », Alban égalise, estompe. « Il faut être cohérent et éviter les jaillissements, ne pas chercher le signifiant tout de suite même si on cherche à lire une époque ». Pour autant, il n’est pas adepte des scénos plus minimalistes, type écriture de plateau, de ces « cadavres exquis » construits au fil de la création. Lui préfère les « scénographies architecturées ». Il crée donc des lieux mémorables, par exemple le souterrain en forme de station de métro des Idoles de Christophe Honoré, la rotonde panoptique de La Double Inconstance mise en scène par Galin Stoev ou « la plus remarquée », le hall de gare de Fin de l’histoire. Des scénographies « conséquentes, imposantes » à travers lesquelles Alban Ho Van essaye « de ne pas se montrer ». Lui qui, à 35 ans se voit comme « un caméléon », un scénographe « qui en est encore à ses débuts » ne veut pas poser de signature. Ses inspirations pourtant : Richard Peduzzi – « un dieu vivant »- et Anna Viebrok, la scénographe de Christophe Marthaler, en imposent. Mais depuis Chéreau, les temps ont changé. La vidéo notamment « a rebattu les cartes ».
« La plupart des spectacles aujourd’hui utilisent la vidéo », un art devenu incontournable au théâtre qui conduit à travailler « avec de nouveaux corps de métiers ». Là où le scénographe d’avant « pouvait poser un geste artistique », celui d’aujourd’hui se fait donc « plus flexible » . Côté vidéo, Alban cherche à éviter le fameux écran au-dessus du plateau, regrette que trop souvent « la vidéo happe et zappe ce qui se passe au plateau », et veut utiliser cette « nouvelle contrainte créative » pour l’intégrer au décor, à nouveau, que ce soit via des moniteurs ou un mur blanc par exemple. Mais « le monde qui vient étant celui qui va accueillir le monde d’après », les enjeux qui se posent désormais pour les scénographes sont aussi d’ordre écologique. Sur ce point, la contrainte est encore plus difficile à traiter. Coûts augmentés, contraintes techniques, difficultés de stockage et envie d’inventer toujours de l’inédit, les projets de recyclage ne sont pas simples à mettre en place. Pourtant, Alban pressent bien que les budgets de scénographie vont se réduire avec la crise de la Covid, « pour soutenir les autres artistes ». Et même si « beaucoup de créations sont d’ores et déjà lancées » il s’attend à ce que les choses changent d’ici peu.
Ce qui l’inquiète, pour l’heure, c’est donc davantage le manque de possibilités pour lui de côtoyer les arts. Non pas le théâtre, parce que « j’y pense toute la journée », mais peinture, musique, architecture et autres sources d’inspirations qui, de par leur absence le laissent « un peu au ralenti ». Projets d’opéra, de théâtre et d’objets hybrides entre le vivant et l’audiovisuel, Alban Ho Van circule entre les arts mais sa référence reste bien « ces grands noms de la scénographie dont le travail laisse voir un rapport à la peinture ». Un attrait pour le « monumental, pourvu qu’il soit doux et accueillant ».
Eric Demey – www.sceneweb.fr
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