Carnets de création (4/28). Eric Wurtz signe depuis 35 ans les lumières des spectacles de Mathilde Monnier. De La Ribot à Lucinda Childs en passant par Ashley Chen ou le Ballet de Lorraine, la liste des artistes pour lesquels il travaille ne cesse de s’allonger. Portrait d’un créateur lumière qui traduit « dans un espace lumière le moteur interne d’une pièce ».
Dans les programmes, sa signature revient encore et encore. Depuis 1983, et sa rencontre avec le groupe Lolita, Eric Wurtz cisèle quelques une des plus belles créations lumière pour la danse -et parfois le théâtre. Ses collaborations forment une dream-list sans cesse augmentée. Rien que cette année, outre Distances de Ashley Chen tout juste créé, Wurtz sera des spectacles du Ballet National de Marseille (Childs, Carvalho, Ninja, Doherty), Requiem Sia Kara de Radhouane El Meddeb, Eléphant de Bouchra Ouizguen ou Records de Mathilde Monnier. Dès lors comment vit-il ces confinements, ces reports ? « Je vois cela comme un formidable travail du négatif qui met l’accent sur les énormes difficultés qui nous attendent. Personnellement j’essaye de passer entre les gouttes, circuler ou travailler quand c’est possible, et actuellement quand ça bloque je prépare mon prochain …déménagement. » Pour certains projets, on envisage un troisième report, les plannings ne cessent de se modifier, la visibilité est réduite et les théâtres sont fermés. « Un vent de catastrophe souffle, il semble que la reconduction en France de l’année blanche ne soit pas acquise. Que devient la jeune génération ? Celle des primo-accédants au régime de l’intermittence. De mon côté, je travaille avec des artistes reconnus qui ont forgé leur excellence avec énergie et obstination, je pense que nous serons suffisamment résilients. L’art de l’esquive et l’incertitude nous accompagnent depuis longtemps. Cette crise prouve que l’art est essentiel à nos sociétés, et il va falloir trouver des solutions rapidement pour redonner l’accès du public aux œuvres. Sous peine de dommages quasi cognitifs. »
Dans son approche créative Eric Wurtz envisage chaque collaboration comme un dialogue. A quel moment entre-t-il dans la danse ? « C’est très variable, cela peut être très en amont, au cours d’entretiens, où nous élaborons des orientations et définissons des concepts, en regard des intentions du chorégraphe. Puis il existe une phase de maturation ou il faut inventer la lumière, la construire et la structurer. Pour élaborer un plan de feux qui permettra d’expérimenter le dispositif au cours des répétitions. Les échanges peuvent commencer, disons 6 mois avant la création. Par ailleurs, suivant les productions, ces temps peuvent être extrêmement réduits, il faut pouvoir osciller entre deux formes de combustion : la vive et la lente ». Cet « artisan » créateur parle de son métier avec une simple évidence. « Mettre en lumière c’est traduire dans un espace lumière le moteur interne d’une pièce. En général nous sommes maître dans notre champ et force de proposition. « » Avec une chorégraphe comme Mathilde Monnier il a tissé un long compagnonnage. Depuis Mort de rire en 87. 35 ans plus tard, leur collaboration est toujours aussi forte. « Une très longue collaboration est un atout précieux, qui témoigne du partage d’une même esthétique et politique en quelque sorte ». De La Ribot à Lucinda Childs, la liste est longue de ses rencontres. « Les outils et la technologie n’ont cessé d’évoluer, mais au cœur du processus, dans l’acte de création on trouve les mêmes moteurs, curiosité, tension et ironie, peut-être… Je peux espérer que l’expérience et le savoir-faire me permettent d’être plus habile, tout en maintenant un esprit de recherche et d’expérimentation. J’entame une phase différente, j’ai moins de nécessité de travailler et c’est plus facile de choisir les projets dans lequel je m’engage. Depuis longtemps je rêve à une sorte d’atelier consacré à la lumière, ce sera, qui sait, le moment. »
Eric Wurtz pense que le monde (du spectacle) d’après sera autre. « Certainement différent, ne serait-ce qu’en terme de financement, sans doute de format et de relation avec le public. On ne peut pas sortir indemne d’une telle crise. Les questions liées à l’éco-conception prennent de plus en plus de place. Comment allons-nous revenir aux collaborations internationales, à la circulation des œuvres et est-ce que la culture va rester au cœur des politiques publiques ? ». Un nombre considérable de défis seront à relever à ses yeux. « Matthias Langhoff a écrit un très bon texte en avril 2020 , « Donner congé aux destructions de la culture ». Il cite Brecht dans son livret d’opéra, La Décision, « Ändere die Welt, sie braucht es. – Changez le monde, il en a besoin ».
Philippe Noisette – www.sceneweb.fr
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