Génération sceneweb (25/30). Actrice pour le théâtre et le cinéma, Vimala Pons créée aussi depuis 2010 des spectacles où le cirque dialogue avec de nombreuses autres disciplines. Pour l’amour du doute. Avec Tsirihaka Harrivel, elle a créé en 2016 un spectacle qui a bousculé les codes du nouveau cirque : GRANDE , spectacle à compléter chez soi.
Par quel bout de son art prendre Vimala Pons ? Faut-il commencer par sa filmographie, et dire que du haut de sa trentaine elle a joué avec des réalisateurs de la Nouvelle Vague presqu’autant qu’avec des réalisateurs indépendants de la nouvelle génération ? Ouvrira-t-on plutôt son portrait en évoquant ses créations à la croisée du nouveau cirque, du théâtre ou encore du music-hall ? Ou peut-être en s’étonnant de sa nouvelle réussite sortie en novembre dernier en K7 et en digital : le livre audio Mémoires de l’Homme Fente[i] ?
En débutant cet article, on se sent pris d’une sensation bien connue de l’artiste : l’hésitation. On suivra donc son exemple : on ne choisira pas, ou disons le moins possible. Sans aller jusqu’à employer la parole bégayante qu’elle aime à pratiquer sur scène, on tentera de la suivre dans ses « montages parallèles », expression qu’elle utilise pour décrire sa manière d’être à l’art et à la vie. Son envie d’embrasser plusieurs disciplines, plusieurs mediums, et d’imaginer entre eux de passionnants dialogues.
« Dans ‘’parcourir’’, il y a ‘’courir’’ »
« Je crois qu’en art comme ailleurs, il y a deux façons de faire : parcourir, ou approfondir. Comme dans ‘’parcourir’’, il y a ‘’courir’’, j’ai choisi la première solution ! Quand on court on regarde souvent devant soi, de fait, j’ai raté beaucoup de beaux paysages ». C’est ainsi, avec sa fantaisie habituelle et son beau sens de la formule inattendue, que Vimala Pons répond à notre question concernant son année de formation au Centre Nationale des Arts du Cirque (CNAC), alors qu’elle était déjà en formation au Conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD). Celle qui, petite, rêvait de devenir écrivain et avalait compulsivement tous les plus gros livres qu’elle pouvait trouver, se découvre alors un désir fou de porter des choses sur sa tête. Celle qui, adolescente, voulait devenir scénariste, se prend d’amour pour les circassiens, pour leur goût du risque.
N’ayant jamais pratiqué aucune discipline des arts de la piste avant d’entrer au CNAC grâce, dit-elle, à son pédagogue d’alors Alexandre Del Perugia – « on ne parle jamais de lui, mais le nouveau cirque lui doit beaucoup, car il a essayé d’introduire de la pensée dans l’enseignement du cirque quand personne ne se donnait tellement la peine de le faire » – ne prétend pas être physiquement à la hauteur des artistes qu’elle rencontre. Elle apportera autre chose au nouveau cirque, comme l’avait pressenti le pédagogue de l’école : un rapport singulier à l’écriture, au cinéma, au music-hall. Une mise en collision de toutes ces disciplines, qui donnent naissance à un tout fragmentaire mais bien cohérent, qui n’est plus ni théâtre ni cirque ni cinéma mais un mélange volontiers surréaliste de tout ça. Le tout baigné d’un humour salvateur, et mélancolique fait d’hésitation, de burlesque et d’une pensée toute en grands écarts.
Le monde sur la tête
Son sens du « montage parallèle » permet à Vimala Pons de prendre en même temps trois chemins professionnels dès la sortie de l’école. Au cinéma, elle joue notamment auprès d’Albert Dupontel, de Jacques Rivette, de Bruno Podalydès et d’Alain Resnais. Au théâtre, elle participe à des créations de Jean-Michel Rabeux et de Jacques Rebotier, tout en poursuivant des recherches commencées au CNAC avec trois de ses camarades : Maroussia Diaz Verbèke, Tsirihaka Harrivel et Erwan Ha Kyoon Larcher. « Nous voulions entre autres confronter texte et acte physique, en quelque sorte donner la parole au cirque. Nous avons pour cela mis en commun nos références personnelles, et les avons assemblées suivant certains principes du montage cinématographique ». Leur pièce De nos jours (Notes on the circus), qu’ils créent en 2012 sous le nom du collectif Ivan Mosjoukine, marque le paysage du nouveau cirque.
Le groupe joue ses 80 notes sur le cirque pendant plusieurs années, avant de se dissoudre. En partie du moins, car Vimala poursuit son exploration circassienne auprès de Tsirihaka Harrivel, avec qui elle crée en 2016 un autre spectacle qui bouscule les codes du nouveau cirque : GRANDE-, spectacle à compléter chez soi, où Vimala retrouve le bonheur de porter toutes sortes de choses improbables sur sa tête, et découvre bien d’autres plaisirs tout aussi incongrus. Comme celui de se faire bibendum en enfilant les uns sur les autres un maximum d’habits qui ont contraint le corps de la femme (de la ceinture de chasteté au tailleur des année 50), pour ensuite s’en libérer en un effeuillage tragiquement drôle. Inspirée par le genre de la revue musicale, cette pièce creuse les rapports entre acte physique et musique esquissé dans Notes on the circus. Et surtout, elle marque pour Vimala un renversement de son rapport aux mots, voire au monde. « Depuis l’école, on disait : les choses parlent malgré nous. À partir de GRANDE-, nous avons décidé avec Tsirihaka Harrivel de travailler sur le fait que maintenant, nous ferons les choses malgré tout et nous parlerons malgré tout. Il est plus intéressant d’être dans un combat joyeux que dans une fausse défaite ».
Le gai non-savoir
Vimala Pons garde en effet en toutes circonstances le sens de l’humour. « Je n’ai pas trouvé d’autre cataplasme, ou d’autre angle d’attaque pour me frayer un chemin dans la réalité », dit celle qui a fini par admettre qu’elle ne sera ni écrivain ni scénariste, mais mélangeuse de formes diverses qu’elle ne maîtrise jamais pleinement. Comme Truquette, l’héroïne du premier film d’Antonin Peretjkao La Fille du 14 juillet, qu’elle incarne en 2013 et qui lui vaut l’entrée dans une certaine célébrité, l’artiste se place toujours au bord de la catastrophe. Chaque expérience est l’occasion de franchir une frontière. Celle du genre par exemple, dans Les Garçons sauvages (2017) de Bertrand Mandico, où elle incarne un jeune garçon envoyé sur une île mystérieuse où il se transforme peu à peu en femme.
Ces aventures cinématographiques ravissent Vimala, notamment par amour du son au cinéma. Elle « écoute » des films depuis de nombreuses années, pour le voyage intérieur que cela propose. D’où son désir d’aller vers des formes de plus en plus personnelles, comme le livre audio cité plus tôt, ou sa prochaine création qui verra le jour en 2022, avec laquelle elle sortira aussi un objet sonore cette fois en vinyle (sur le label Kythibong et WarrioRecords). Soit un seul en scène sur la supposée vie parallèle créée par nos mensonges, composé sous une forme chère à Vimala : la liste, qui permet tous les chocs, toutes les rencontres improbables. L’artiste ira aussi visiter dans After Blue une planète étrange en compagnie de Bertrand Mandico. On la retrouvera parmi des supers-héros chez Douglas Attal et avec un voisin tueur chez Santiago Mitré (Petite Fleur, ne meurs jamais). Autrement dit trois sorties cinéma en 2021.
Avant de terminer cet article, le doute nous reprend. Est bien de finir ainsi ? Pourquoi pas une phrase de l’artiste ? Au hasard : « Je crois qu’il faut banaliser l’exceptionnel pour qu’il s’habille d’une chose qui ressemble à du sens ». À méditer en attendant de retrouver Vimala, ici ou là.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
[i] Label Transcachette : https://transcachettetapes.bandcamp.com/album/vimala-pons-m-moires-de-lhomme-fente
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !