Génération sceneweb (18/30). En tant que comédienne-chanteuse autant que comme metteure en scène, le plateau doit être pour Ludmilla Dabo un lieu d’exploration de formes nouvelles, capables de nous faire penser l’époque.
Dès sa sortie du Conservatoire national supérieur d’art de Paris, en 2010, Ludmilla Dabo sait à quelles formes, à quelles expériences elle souhaite vouer ses talents : celles qui bouleversent les frontières entre les disciplines. En particulier entre théâtre et musique. Également formée au chant lyrique, Ludmilla ne veut renoncer à aucune de ses deux passions. Elle n’est pas la seule. La comédienne et chanteuse Malgorzata Kaspzrycka partage le même désir d’esthétiques hybrides. Les deux jeunes artistes créent ensemble le collectif Volcano Song, qui réunit d’autres artistes animés des mêmes envies décloisonnantes. Alors qu’elle entame à peine sa carrière de comédienne, elle s’essaie dans ce cadre à la mise en scène avec Le Jugement dernier d’Ödon Von Horvath, avec Misterioso-119 de Koffi Kwahulé qu’elle co-met en scène avec Nadine Baier ou encore avec une comédie musicale, Eunice Kathleen Waymon ou la vie de Nina Simone, dont elle retrouvera l’héroïne bien des années plus tard, autrement. Entre temps, elle s’est forgée au fil de ses expériences théâtrales une personnalité forte et singulière, toujours en mouvement.
Une et multiple
Dans sa quête d’espaces où lier les deux disciplines qui la constituent, Ludmilla croise le chemin de metteurs en scène qui lui ressemblent dans leur refus de se limiter à une discipline. Après avoir travaillé avec Bernard Sobel, Luca Giacomoni ou encore Saturnin Barré, elle rencontre notamment Eva Doumbia. Elle joue en 2013 dans Afropéennes d’après des textes de Léonora Miano. Une pièce importante pour elle dans sa manière de « questionner l’identité française, de montrer qu’elle est multiple et non pas homogène comme elle était alors sur les plateaux. Comme elle est de moins en moins, car depuis quelques années les choses sont en train de changer ». Dans cette pièce où elle incarne une jeune femme née en France de parents africains – telle est la définition du terme « afropéenne », popularisé chez nous par Léonora Miano –, Ludmilla joue, elle chante, danse et formule des questions identitaires qui la concernent. Porter cette écriture la comble. Elle n’hésitera pas à retrouver Eva Doumbia en 2017 autour d’un autre texte de Léonora Miano, Écrits pour la parole.
« L’une des choses qui m’intéressent beaucoup au théâtre, c’est de faire communion autour des tabous des sociétés occidentales », dit l’artiste. Elle en a l’occasion à plusieurs reprises. Par exemple lorsque David Lescot lui permet de retrouver la chanteuse et militante pour les droits civiques qu’elle aime tant dans Portrait de Ludmilla en Nina Simone (2017). Un seul en scène taillé pour elle, parlé et chanté, entre le récit autobiographique et le portrait subjectif, à propos duquel elle nous disait ici en juin dernier : « Pour ma part pourtant, j’ai toujours eu un rapport ambivalent à l’engagement. Comme s’il me manquait une forme de légitimité pour me définir comme une artiste engagée ». C’est donc avec discrétion, et bien sûr avec le doux sourire et l’énergie folle qu’on lui connaît, que Ludmilla Dabo se met au service d’écritures peuplées d’identités complexes, souvent à l’intersection entre l’intime et l’Histoire.
Dans Harlem Quartet (2017) mis en scène par Élise Vigier, elle interprète une jeune évangéliste du roman Just above my head de James Baldwin, également militant contre les discriminations raciales. Plus tard, en 2017, elle trouve « passionnant de participer à la création Sombre rivière de Lazare, et de se poser la question de ce qu’est être un Arabe après les attentats du 13 novembre, dans une forme qui ne ressemble à rien d’autre, clownesque, jouée, chantée… ». Ludmilla est dans ses éléments. De même que dans Une femme se déplace (2019) de David Lescot, dont elle incarne le rôle-titre, entourée de quinze comédiens-chanteurs-danseurs et musiciens. Plus elle avance, plus Ludmilla s’épanouit dans sa belle dualité. Ce qui témoigne d’un phénomène qui la réjouit : « le développement des écritures qui bousculent les frontières entre les disciplines, et qui s’attachent à des sujets centraux de l’époque ».
Une artiste qui se déplace
Parmi les évolutions récentes du milieu théâtral qui la satisfont, il y a aussi la place de l’interprète. « Il me semble qu’il est davantage admis aujourd’hui qu’à l’époque où j’étais au Conservatoire que les interprètes peuvent avoir une pensée du théâtre, qu’ils peuvent être des créateurs à part entière. À cet égard, le livre Face à Médée de Valérie Dréville, où elle raconte son travail avec Anatoli Vassiliev m’a beaucoup intéressée », exprime-t-elle. Pour affirmer davantage encore son geste, son univers personnel, Ludmilla se lance aussi dans l’écriture d’un premier spectacle. Un « songe musical », un « cabaret des fragilités » intitulé My body is a cage, où elle se propose de « traverser la fatigue par des chants et des danses pour y lire autre chose que la défaillance ». Avec une équipe entièrement féminine, elle y interroge entre autres la possibilité de « conquérir des espaces de libertés pour soi et pour les autres grâce au monde du Spectacle ». Ludmilla se déplace, toujours tournée vers les paroles peu audibles, vers leur libération.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !