Accompagné dans sa démarche du sociologue Arnaud Alessandrin, David Gauchard mène une enquête sur le métier méconnu de modèle vivant. Les comédiens Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours en livrent les fruits, passionnants, dans Nu.
Avec sa compagnie L’Unijambiste, le metteur en scène David Gauchard pratique un théâtre de la rencontre. Sur scène, mais aussi en amont, dans son processus de création, il rassemble des êtres et des choses qui n’auraient sans doute pu se rencontrer autrement. Il « réconcilie », comme il dit, des histoires, des langages séparés les uns des autres. Dans chacune de ses créations, aux formes et aux sujets très variés, il envoie le théâtre au-devant des réalités et des écritures qui l’intéressent. Il l’emmène à l’aventure. Récemment, par exemple, il entreprend un voyage au cœur de Walden ou la vie dans les bois de Henry David Thoreau dans Le temps est la rivière où je m’en vais pêcher. Il s’y fait « arpenteur », pour « marcher, écouter, ressentir, être partie prenante de ce qui advient par la rencontre ». Dans Maloya, il accompagne le conteur Sergio Grondin dans une recherche sur les grandes figures de la musique éponyme. Tandis que dans Time to tell, il guide le jongleur Martin Palisse dans le récit de sa maladie, la mucoviscidose, et de ce que celle-ci fait à son art et à sa vie.
Depuis quelques temps, L’Unijambiste affirme ainsi son goût pour l’entretien, pour l’enquête. Avec Nu, que nous avons pu voir en représentation professionnelle au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines dont David Gauchard est artiste associé, la compagnie fait un pas supplémentaire dans ce domaine. Comme à son habitude, le territoire qu’y explore le metteur en scène est pour lui et ses acolytes presqu’inconnu. « Source de fantasmes et d’idées préconçues », écrit-il, le métier de modèle vivant lui ouvre un vaste espace de « réconciliation ». Avec sa collaboratrice Léonore Chaix, il y entre selon une méthode mise au point avec le sociologue Arnaud Alessandrin : il mène des entretiens avec une cinquantaine de modèles rencontrés dans des ateliers amateurs, des écoles de design et aux beaux-arts, qu’il introduit à chaque fois en énonçant ces règles, projetées au début du spectacle : « Comme tu le sais, ce que tu vas me dire va être enregistré sur ce téléphone et ton témoignage servira à l’écriture de ce spectacle… Alors, comme convenu, tu es libre de répondre aux questions que tu désires, de ne donner que les informations que tu souhaites, et tu peux revenir ou modifier à tout instant tes propos ».
En exhibant d’emblée son procédé, David Gauchard met son théâtre dans le même état que les personnes qu’il interroge : à nu. Dans la dizaine d’entretiens sélectionnés pour la pièce, les traces de fabrication du montage, ses coutures, sont visibles à chaque instant. Pour porter ces témoignages, les comédiens Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours adoptent de plus une approche qui ne laisse aucun doute sur le long travail mené en amont par l’équipe de création, et sur la transformation que produit forcément le partage des paroles collectées lors d’un entretien téléphonique ou en tête-à-tête. Comme cela se fait parfois au cinéma, ils restituent en direct les mots qui leur arrivent depuis le casque qu’ils enfilent au début de chaque témoignage, à tour de rôle. N’ayant pas appris leurs textes, ils ne risquent pas ainsi d’incarner les modèles vivants dont les récits constituent l’essentiel de la pièce. Aussi fragiles qu’eux en situation de pose, les comédiens se doivent d’être des passeurs pleinement présents, entièrement disponibles pour la rencontre entre théâtre et nu artistique imaginée par David Gauchard.
Emmanuelle et Alexandre excellent à traduire la pensée en action de leurs modèles, dont on sent pour la plupart que cette parole sur leur métier est tout sauf habituelle. C’est donc à des témoignages à l’état brut, ou presque – un important travail de montage a été effectué – que nous donne accès Nu. Individuellement passionnants, ils le sont davantage encore dans leur succession. Car ensemble, ils forment les contours d’une réalité que l’on s’aperçoit très vite ne pas connaître davantage que celle de la mucoviscidose ou du Maloya. Loin des préjugés, les modèles vivants de Nu disent tous leur amour pour un métier qu’ils ont choisi, et qu’ils vivent comme un espace de liberté, d’affirmation de soi. D’âges, de professions et de milieux socio-culturels très différents, ils ont chacun leurs raisons de poser. Politiques, intimes, artistiques, économiques… Toutes sont abordées dans la pièce de David Gauchard, qui comble ainsi un vide dans le domaine de la sociologie des professions, relevé par Arnaud Alessandrin : le ‘’nu’’, affirme-t-il, « n’a jamais été investigué par la sociologie des professions, sinon peut-être du côté de la pornographie ». Avec Nu, le théâtre fait avancer la recherche, et réciproquement.
Anaïs Heluin – www.sceeneweb.fr
Nu
Idée originale et mise en scène David Gauchard
Avec Emmanuelle Hiron, Alexandre Le Nours et un modèle artistique professionnel de la ville qui accueille le spectacle
Collaboratrice artistique Léonore Chaix
Docteur en sociologie Arnaud Alessandrin
Création lumière Jérémie Cusenier
Création son Denis Malard
Scénographie Fabien Teigné
Réalisation décor Ateliers de l’Opéra de Limoges
Peintures François Henri Galland
Visuel Virginie Pola Garnier & David MoreauProduction L’Unijambiste
Partenaires Théâtre de St Quentin en Yvelines – Scène nationale, Espace Malraux – Scène nationale de Chambéry et de la Savoie, OARA – Office Artistique de la Région Nouvelle- Aquitaine, Théâtre de Cornouaille – Centre de création musicale, Scène nationale de Quimper, Le Canal – Théâtre du Pays de Redon, Les Scènes du Jura – Scène nationale, Théâtre L’Aire Libre, Scène nationale du Sud-Aquitain, Ecole des Beaux Arts – QuimperDurée : 1h20
5 au 27 décembre 2022 Théâtre de Belleville, Paris
(les samedi, dimanche, lundi et mardi – relâches les 24-25)11 février 2023 Scène 55, Mougins – scène conventionnée
21 mars 2023 Les Scènes du Jura, scène nationale
28 et 29 mars 2029 Musée d’art et d’histoire de Saint Lô en partenariat avec le Théâtre de Saint Lô
31 mars 2023 DSN, Dieppe Scène Nationale
16 mai 2023 Le Pont des arts, Cesson Sévigné
Diffusion La Magnanerie 🙂