Guillaume Barbot, Rodolphe Dana, Gaëlle Hermant et Alexandra Tobelaïm devaient présenter leurs nouveaux spectacles dans les prochains jours. Une perspective que le nouveau confinement a anéantie. Psychologiquement lessivés et inquiets par l’avenir, ils entrent, malgré tout, en résistance.
Novembre est toujours un mois de forte fièvre théâtrale. Une « seconde rentrée », affirment certains, avec cette joie matinée d’impatience au coin de l’oeil. Le cru 2020 ne faisait pas figure d’exception. Au contraire. Avec les reports occasionnés par le confinement du mois de mars, le compteur s’était affolé. Plus de 250 spectacles devaient voir le jour à travers toute la France et l’on craignait même un embouteillage. Mais ça, c’était avant. Avant la prise de parole présidentielle du 28 octobre et l’annonce d’un nouveau confinement dès le lendemain soir, minuit, pour au moins quatre semaines. En quelques secondes, le bel édifice s’est effondré et la perspective de voir plusieurs mois, voire plusieurs années, de travail aboutir a été réduite à néant. Pour les artistes concernés, déjà fragilisés par l’incertitude du temps présent et le couvre-feu instauré à la mi-octobre, cette décision a eu l’effet d’un « nouveau coup de massue ».
Parmi eux, Guillaume Barbot fait presque office de « privilégié ». La création de son nouveau spectacle, Alabama Song, a bien pu avoir lieu, les 15, 16 et 17 octobre au Tangram d’Evreux, mais il devra, pour l’heure, en rester là. « Au Théâtre de la Tempête, où nous étions programmés pendant trois semaines, nous avons simplement pu faire une générale filmée jeudi après-midi, raconte le metteur en scène. Cela nous a fait du bien car, avec la quarantaine de personnes présentes, nous avions l’impression de faire partie des derniers résistants et, en même temps, nous étions tristes de voir une si belle rampe de lancement avortée. » D’autant que la suite de la tournée prévue à Meaux, Chelles et Pontault-Combault à la fin du mois tombe également à l’eau. Sur la planning 2020-2021 de la Compagnie Coup de Poker, ne subsistent, avec ce spectacle, que deux dates, en mars prochain, et la perspective lointaine et incertaine du Off d’Avignon. « Vivre des hauts et des bas en permanence est consubstantiel à notre métier lorsque tel projet ne se fait pas, lorsque tel producteur ne vient pas, lorsque tel comédien n’est pas disponible, mais, là, c’est fois quarante pour toute l’équipe », regrette-t-il.
Aller jusqu’au bout
Un sentiment d’inachevé que Rodolphe Dana, Gaëlle Hermant et Alexandra Tobelaïm éprouvent avec une frustration encore plus forte. Bartleby, Danse « Delhi » et Abysses, leurs spectacles respectifs dont les premières devaient se tenir au CDN de Lorient, au Théâtre Gérard-Philipe et au Nest Théâtre entre le 3 et le 5 novembre resteront dans les cartons. « Alors que tout était bien parti, que les représentations se remplissaient bien, nous explosons en plein vol, se désole Gaëlle Hermant. Nous avions déjà perdu des coproducteurs et une aide pour l’atelier de construction avec le premier confinement. Après m’être formée à la production, avec l’aide du TGP, le projet n’a pu être sauvé, in extremis, que grâce à une subvention de la région Île-de-France, et là tout s’écroule à nouveau. »
A l’image de ses deux aînés, la jeune metteuse en scène ne compte, malgré tout, pas en rester là. Elle entend profiter de l’autorisation accordée aux répétitions pour finir son spectacle et organiser, sous dix jours, une captation vidéo qu’elle pourra montrer aux professionnels – à défaut de filages qui pourraient être ouverts à de très petits comités. De son côté, Rodolphe Dana donnera lui aussi une première de Bartleby, le 4 novembre, captée, à huis clos, devant l’équipe du CDN de Lorient. Quant à Alexandra Tobelaïm, elle a choisi de répéter jusqu’au 3 novembre, avec la ferme intention de présenter un « objet fini » au collectif de création et d’en garder une trace. « Cette démarche est importante, mais elle n’empêche pas d’être inquiet pour la suite, temporise-t-elle. Sans cette première rencontre avec le public, qui est un aboutissement, on se demande comment le spectacle va évoluer et quelles conséquences cela aura sur la tournée qui devrait débuter fin février. »
Le report, un dilemme cornélien
Car, avec leur résilience à toute épreuve chevillée au corps, les artistes, à peine remis du choc, cherchent déjà des solutions pour préparer l’avenir. Un instant de réflexion crucial alors que le report systématique des spectacles, qui présidait lors du premier confinement, semble avoir vécu. Envisagé, mais non encore acté, dès le mois de janvier pour Danse « Delhi » au TGP, il sera beaucoup plus compliqué pour Alabama Song. « Le Théâtre de la Tempête se montre très solidaire, mais ils ont déjà seize spectacles, au lieu de douze habituellement, prévus cette saison, explique Guillaume Barbot. Nous réfléchissons donc à le jouer dans des théâtres partenaires de la Cartoucherie ou à le décaler d’une saison, mais la première option impose de nous ménager une place difficile à trouver, tandis que la seconde prend le risque du réchauffé. Aura-t-on vraiment envie de voir, et de jouer, un spectacle créé en octobre 2020 au mois de juin 2022 ? »
En tant que directeur du CDN de Lorient, Rodolphe Dana, qui s’attend à « traverser l’hiver sans public », se montre beaucoup plus radical. S’il s’engage à payer toutes les sessions des spectacles qui ne pourront pas avoir lieu, il envisage de reporter seulement les productions et coproductions. « Avec les artistes dont nous assurions uniquement l’accueil, nous allons essayer de travailler autrement, au cas par cas, en fonction de leurs besoins, car aller de report en report commence à devenir fatigant, concède-t-il. Nous allons peut-être essayer de faire des émissions, des podcasts, des lectures ou permettre aux compagnies de répéter des spectacles à programmer, à la dernière minute, au printemps ou à l’été. Nous devons voir avec elles, qui sont, par essence, plus fragiles que nous, CDN, ce qui est le plus pertinent. »
Même logique au Nest Théâtre où, si les reports seront autant que possible privilégiés, le dialogue avec les artistes restera la clé de voûte. Comme ses trois homologues, Alexandra Tobelaïm souhaiterait d’ailleurs que cette période de turbulences soit mise à profit pour imaginer d’autres modes de fonctionnement. « Il faut réinterroger les systèmes de production qui imposent de s’inscrire dans des temporalités beaucoup trop longues, mais aussi repenser les rapports entre les CDN et les scènes nationales. Nous devons, ensemble, rompre l’isolement des compagnies et les replacer au centre de tout. Cela nous permettra d’inventer de nouvelles choses, de programmer dans un temps beaucoup plus court, d’étendre les temps de diffusion ou d’inviter un spectacle à venir jouer au débotté ». Façon de conjurer un marasme plus sombre et incertain que jamais.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
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