Le dramaturge et metteur en scène Tiago Rodrigues ravive sa toute première pièce, qui tisse et façonne l’harmonie entre deux êtres.
Elle et lui, lui et elle. D’un même pas décidé, unifié par un parallélisme qui parait les souder, le tandem s’avance et se met d’emblée à raconter. Son récit de vie, ce couple l’énonce à deux voix, mais dans un même élan, dans un même souffle. Les mots sont identiques, les faits tout à fait semblables. Entre eux, il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette, simplement une différence, naturelle, logique, d’angle de vue qui transforme les pronoms – le « je » chez elle devenant « elle » chez lui, le « je » chez lui devenant « il » chez elle – et inverse, parfois, la droite et la gauche – « Elle a toujours eu un problème avec ça », confie-t-il. Cette belle unité, l’une et l’autre ont bien cru qu’elle allait se briser lorsque, une nuit, après qu’ils se soient sagement endormis devant Scarface, elle n’a plus réussi à reprendre son souffle, et bientôt à respirer.
La panique envahit alors le duo qui décide de filer aux urgences. Durant le trajet vers l’hôpital, au fur et à mesure que la lutte qu’elle doit mener s’intensifie, des dissonances apparaissent dans leurs récits jusqu’ici si bien accordés. Elle pense qu’il est déjà trop tard ; lui assure qu’ils ont encore le temps pour la sauver, mais aussi pour vivre ce qu’ils n’ont pas encore vécu, comme ce voyage en safari sans cesse remisé et ces mots doux trop longtemps tus. Et les deux amants de voir leur choeur se rompre quand, l’un dans la salle d’attente, l’autre dans sa chambre, ils se retrouvent suspendus au bip d’une machine qui mesure la persistance du fil de vie qui les unit.
Cette pièce chorale, sa toute première, Tiago Rodrigues l’a écrite et créée à Lisbonne voilà quinze ans. S’il la remet aujourd’hui sur le métier, c’est moins pour simplement la re-monter que pour l’augmenter, pour imaginer ce que le temps passé a eu comme effet sur ce couple, pour voir ce que ces deux amants, au bord de la rupture, sont devenus. Comme souvent, le lyrisme mesuré du dramaturge portugais fait des émules, et des émois, dans sa façon de transformer le texte en un flot de tendresse où tout n’est que sensibilité et délicatesse, de l’un et de l’autre, de l’une envers l’autre, et réciproquement. Loin d’être un vulgaire copier-coller, elle et lui ont tissé un amour qui a l’harmonie pour coeur et les précipite en choeur, une relation fondée sur une même philosophie de l’existence qui, si elle peut connaître quelques heurts et donner lieu à quelques dissonances, ne prête jamais le flanc à la cacophonie, qu’elle soit dramatique ou scénique.
Car, au plateau, Alma Palacios et David Geselson se livrent à une performance plus compliquée qu’ils ne le laissent transparaître. Dans leurs gestes, comme dans leurs voix, la comédienne et le comédien doivent veiller à s’accorder et ne peuvent laisser passer aucune imprécision textuelle qui, immédiatement, ferait s’effondrer l’harmonie qui règne entre leurs deux personnages. Avec la grâce et l’aisance de ceux qui en ont vu, ils relèvent haut la main le défi et confèrent à leur tandem une force terrienne et une élégance aérienne. Avec un service à thé comme unique accessoire, ils se retrouvent, à l’instar du texte, mis en valeur par une mise en scène dont la simplicité calculée les place au centre de tout. Côte à côte, tels des amoureux gémellaires, en miroir l’un de l’autre, ils donnent alors corps à ce précipité d’amour et de vie qui, en dépit de son apparente brièveté, en dit long, très long, sur les individus et leur besoin de concorde.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Chœur des amants
Texte et mise en scène Tiago Rodrigues
Avec David Geselson en alternance avec Grégoire Monsaingeon, et Alma Palacios en alternance avec Océane Caïraty
Traduction Thomas Resendes
Scénographie Magda Bizarro, Tiago Rodrigues
Lumière Manuel Abrantes
Costumes Magda BizarroProduction C.I.C.T. – Théâtre des Bouffes du Nord
Coproduction Espace 1789 – Saint-Ouen
Avec le soutien des Scènes du Golfe – Théâtres Arradon-VannesDurée : 45 minutes
Vu en avril 2022 aux Célestins, Théâtre de Lyon
Théâtre des Bouffes du Nord, Paris
du 23 au 27 septembre 2025La Ferme du Buisson, Scène nationale, Noisiel
le 5 décembreThéâtre L’Aire Libre, Saint-Jacques-de-la-Lande
les 8 et 9 janvier 2026Espace culturel Robert-Doisneau, Meudon
le 22 janvierDSN, Dieppe Scène Nationale
le 24 janvierTransversales, Église Jeanne d’Arc, Verdun
le 27 janvierL’arc, Scène nationale Le Creusot
les 29 et 30 janvierLe Molière, Théâtre de Gascogne, Mont-de-Marsan
le 6 févrierL’Entracte, Scène conventionnée de Sablé-sur-Sarthe
le 27 marsThéâtre de Liège (Belgique)
du 2 au 4 avril
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