Gisèle Vienne propose comme à son habitude avec L’Etang un spectacle d’une forme hautement travaillée et originale. Une traversée vers l’autre rive du réel qui pourrait cependant vous laisser à quai.
A l’intérieur d’un grand rectangle blanc, aveuglant, allongées par terre ou sur un lit défait, des marionnettes à taille humaine semblent tout droit sorties d’un film de Gus Van Sant. Immobiles et souriantes, figures adolescentes d’une jeunesse mondialisée par le modèle américain, peau claire et cheveux lisses, on les imagine tranquilles dans un after de soirée. Un manipulateur aux gants noirs vient les retirer une à une, par une paroi latérale qui s’entrouvre comme par magie, glissant sur le sol en silence. On pense à Kertsin Daley-Baradel, l’actrice disparue, retournée au noir du néant, qui devait initialement jouer dans ce spectacle qui lui est maintenant dédié. Entrent ensuite, et à la suite, lentement, très lentement, Adèle Haenel et Ruth Vega Fernandez. Haenel en jogging blanc et baskets d’ado urbain. Vega Fernandez, grande brune en jean moulant, bottines en cuir et, pull rose de mère charnelle qui chaloupe. Sur le plateau, toutes les deux avancent au ralenti dans des démarches stylisées.
L’Etang, dernière création de Gisèle Vienne, met en scène une pièce de Robert Walser, écrivain suisse de langue allemande de la première moitié du XXème siècle. Le personnage central s’appelle Fritz, Adolf son père, Paul et Clara ses frère et sœur. Fritz se sent mal aimé de ses parents, jaloux de son grand frère, l’aîné. La cadette vit dans l’innocence soumise des enfants. Le drame familial dépasse l’ordinaire tension des relations de famille. L’inceste affleure. Affleure car dans cette histoire telle que la met en scène Gisèle Vienne, rien n’est sûr, tout tremble, oscille, à la frontière entre l’imaginaire et le réel.
Cette pièce « n’en est peut-être pas une » précise Gisèle Vienne. C’est « un monologue à dix voix, une expérience intérieure bouleversante ». Le spectateur doit en effet reconstituer le puzzle d’une histoire qui voit un adolescent malheureux, Fritz, feindre une tentative de suicide. Adèle Haenel porte en fines nuances les voix des enfants, Ruth Vega Fernandez en inquiétante sensualité, celles des parents. C’est une pièce d’atmosphère, noire, fantastique, par laquelle Gisèle Vienne approfondit son esthétique : jeu à la limite de la ventriloquie, travail d’amplification sonore des voix, susurrations et autres micro-bruits des corps sur fond de musique techno, images léchées et gestuelle ralentie, découpée, millimétrée pour des interprètes qui, suivant les souhaits de la metteuse en scène que nous relations ici, « traversent des expériences ayant une importance d’abord pour eux, et qu’ils partagent avec les spectateurs, plutôt qu’ils soient dans un souci de représentation, de monstration d’un personnage ».
On peut apprécier cette voie singulière que trace Gisèle Vienne. Tout est précis, signifiant, original, étrange, intrigant. L’étang glauque imprègne la scène, laisse remonter par bulles à la surface les cris trop longtemps étouffés des enfants, révoltes évanescentes qui éclatent dès qu’elles touchent l’air. L’atmosphère est aussi nauséabonde que celle d’un marais. Par bouffées incontrôlées seulement, la vitalité adolescente échappe à un ordre familial oppressant et traumatisant. On voit la voie, et cette forme que l’on apprécie cependant plus qu’elle ne parvient à nous toucher.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
L’étang
D’après l’œuvre originale Der Teich (L’Etang) de Robert WalserPour Kerstin
Conception, mise en scène, scénographie Gisèle Vienne
Interprétation Adèle Haenel & Ruth Vega Fernandez
Direction musicale Stephen F. O’Malley
Musique originale Stephen F. O’Malley & François J. Bonnet
Orchestration Owen Morgan Roberts
Lumière Yves GodinDramaturgie Dennis Cooper & Gisèle Vienne
Assistanat en tournée Sophie Demeyer
Regard extérieur Anja RöttgerkampTraduction française Lucie Taïeb
A partir de la traduction allemande de Händl Klaus & Raphael Urweider (éd. Suhrkamp Verlag, 2014)Collaboration à la scénographie Maroussia Vaes
Conception des poupées Gisèle Vienne
Création des poupées Raphaël Rubbens, Dorothéa Vienne-Pollak & Gisèle Vienne en collaboration avec le
Théâtre National de Bretagne
Fabrication du décor Nanterre-Amandiers CDN
Décor et accessoires Gisèle Vienne, Camille Queval & Guillaume Dumont
Costumes Gisèle Vienne, Camille Queval & Pauline Jakobiak
Maquillage et perruques Mélanie GerbeauxRégie générale Richard Pierre
Régie son Adrien Michel & Mareike Trillhaas
Régie lumière Tbc
Régie plateau Antoine HordéRemerciements à Etienne Bideau-Rey, Nelson Canart, Patric Chiha, Zac Farley, Jean-Paul Vienne.
Production et diffusion Alma Office : Anne-Lise Gobin, Alix Sarrade, Camille Queval & Andrea Kerr
Administration Etienne Hunsinger & Giovanna RuaPièce créée en collaboration avec Kerstin Daley-Baradel
22, 23, 24, 26, 27, 28, 29 septembre 2023 Chaillot-Théâtre national de la Danse, Paris (FR)
13, 14 octobre 2023 PS21: Performance Spaces for the 21st Century Events, Chatham (US)
21, 22, 23 octobre 2023 Dance Reflections by Van Cleef & Arpels Festival, New York Live Arts (US)
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