Marine Bachelot Nguyen puise dans le mythe antique pour interroger la pratique contemporaine de la laïcité et remonter aux racines de la violence et du terrorisme. Un sujet hautement inflammable, au vu du contexte actuel, qu’elle traite avec l’intelligence de ceux qui questionnent et non qui assènent.
Il est de ces spectacles qui, parfois, se font rattraper par l’actualité. Ecrit à la suite des attentats de 2015, Akila, le tissu d’Antigone n’aurait sous doute pas manqué, s’il avait été présenté ces jours-ci, comme prévu, dans le cadre du festival du Théâtre National de Bretagne, de susciter le débat, voire peut-être la controverse, tant il apparait en prise directe avec le réel, et son climat éruptif. Finalement donnée, au Théâtre La Paillette de Rennes, sous la forme d’un « filage-spectacle » réservé, dans le respect des règles sanitaires, à un petit nombre de professionnels, cette réécriture contemporaine du mythe d’Antigone offre un écho saisissant aux 400 « violations » de l’hommage à Samuel Paty recensées, le 2 novembre dernier, par le ministère de l’Education nationale, mais aussi aux quatorze procédures ouvertes conséquemment contre des mineurs pour « apologie du terrorisme ». Car, chez Marine Bachelot Nguyen, tout commence également par l’une de ces « violations » qui posent, aujourd’hui, leur lot de questions.
Dans la cour du lycée où tous les élèves sont réunis pour une minute de silence en mémoire des victimes d’un attentat perpétré sur l’esplanade du Trocadéro, la solennité laisse place à la stupeur quand Akila recouvre ses cheveux d’un voile blanc – d’autant que la jeune femme n’est autre que la sœur de l’un des auteurs de l’attaque. Aussitôt convoquée dans le bureau du proviseur, la voilà telle Antigone face à Créon, sommée de respecter la loi de la République, celle qui interdit de porter le voile à l’école. Plutôt que d’obtempérer, Akila entre en résistance. Au-delà de l’hommage qu’elle choisit seule, et contre l’avis de sa famille, d’aller rendre à son frère lors de son enterrement, elle conserve son voile et se voit imposer la salle de permanence comme triste cloître. Bientôt soutenue par un chœur de mystérieux élèves qui créent une radio pirate, elle met le collectif sous tension et devient la pomme de discorde, capable de fracturer, ou de révéler les fractures, d’une communauté éducative en pleine ébullition.
Déjà puissant dans sa façon de donner à entendre les débats qui secouent le monde scolaire, mais restent souvent cantonnés à la salle des profs, et d’interroger les lois de la République, notamment celle de 2004 qui proscrit tout signe religieux à l’école en vertu d’un prolongement – qu’il questionne – de la loi de 1905, le texte de Marine Bachelot Nguyen va plus loin et remonte aux racines de la violence et du terrorisme. Loin de croire, comme Manuel Valls, qu’« expliquer c’est déjà vouloir un peu excuser », l’autrice investit un champ que le politique a déserté, celui de la remise en perspective et de la compréhension des causes. En faisant de l’autre frère d’Akila la victime d’une bavure policière, elle lie tout ensemble, et convoque même l’histoire coloniale et ces cérémonies du dévoilement organisées au temps de l’Algérie française. Plutôt que d’asséner, Marine Bachelot Nguyen lance des sondes, ouvre des pistes, dont chaque spectateur pourra, avec ses propres convictions, faire son miel. A la logique actuelle d’exclusion, elle répond par une remise en question du comportement – « néo-colonial ? », se demande-t-elle – de la société française envers ses minorités, et tente de retrouver le chemin du vivre-ensemble et de la laïcité inclusive.
Un appel à l’inclusion que Marine Bachelot Nguyen, particulièrement engagée dans le collectif Décoloniser les arts, applique à sa propre démarche artistique. Sur le plateau, la troupe, composé de comédien.ne.s de tous âges, genres et origines, fait de sa diversité une force en mesure, par la complémentarité qu’elle génère, de donner au spectacle un bel élan. Encore un peu vert, leur jeu profite de la dimension chorale voulue par la metteuse en scène, et soutenue par la création musicale live de Raphaël Otchakowsky, qui mêle sonorités antiques et contemporaines. Tout entier au service d’un texte qu’il s’attache à faire entendre, dans toute sa complexité, avec le plus de clarté possible, son geste se fait tantôt léger, parfois drôle, mais toujours juste. Façon d’instiller un soupçon de fougue juvénile dans un sujet qui, au vu des enjeux qu’il soulève, n’aurait pas supporté un trop-plein de sévérité.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Akila, le tissu d’Antigone
Texte et mise en scène Marine Bachelot Nguyen
Avec Mouna Belghali, Hiba El Aflahi, Nikita Faulon, Damien Gabriac, Thomas Germaine, Arnold Mensah, Raphaël Otchakowsky
Scénographie Bénédicte Jolys
Création musicale Raphaël Otchakowsky
Costumes Laure Fonvieille
Assistante à la mise en scène Delphine BattourProduction Lumière d’août
Coproduction Le Canal – scène conventionnée d’intérêt national, Redon ; Le Grand T, théâtre de Loire-Atlantique, Nantes ; La Maison du théâtre, Brest ; La Paillette, Maison des Jeunes et de la Culture, Rennes ; La Passerelle, scène nationale, Saint-Brieuc ; Le théâtre du Champ au Roy, Guingamp ; Le théâtre du Pays de Morlaix
Soutiens et autres partenaires L’Aire Libre – Centre de Production des Paroles Contemporaines ; CDN de Normandie-Rouen ; Spectacle vivant en Bretagne ; Troisième Bureau ; le TU-Nantes ; le fonds d’insertion de l’École du TNBCertaines représentations bénéficient du dispositif de soutien à la diffusion « Avis de Tournées » porté par l’ODIA Normandie, la Région Pays de la Loire et Spectacle vivant en Bretagne.
Le texte est édité aux Editions Lansman.
Durée : 1h55
Théâtre – Cinéma de Choisy-le-Roi, dans le cadre des Théâtrales Charles Dullin
le 30 novembre 2022
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