Eric Ruf, l’administrateur de la Comédie-Française recrée Bajazet au Studio Marigny, quatre ans après avoir monté sa version donnée au Théâtre du Vieux-Colombier.
Qui a déjà joué Racine sait que le plus ardu est d’entrer et de progresser silencieusement vers le mitan du
plateau avant de prononcer le premier « Madame ». Cette avancée muette traîne avec elle une psychologie qui n’a pas lieu d’être car dans ce théâtre, on n’existe qu’en parlant et on meurt dès qu’on ne peut plus répondre. Les difficultés que nous traversons et qui ont bouleversé plus que tout autre notre secteur m’amènent à recréer Bajazet, après l’avoir monté il y a quatre saisons au Théâtre du Vieux-Colombier, donné en tournée en 2019 et alors qu’une reprise fut annulée pour cause de Covid-19. Pas de rapprochements, de luttes ou d’embrassades. La règle de bienséance impose dans la tragédie classique de garder pudiquement en coulisses les meurtres et les amours dont les actes demandent une proximité trop grande. Cette distanciation plaide pour l’hypothèse de l’oratorio. Nous reprenons donc à la rentrée ce titre injustement méconnu de Racine au Studio Marigny.
Patrice Chéreau m’a un jour donné une clef sur les répétitions de Phèdre en m’expliquant que les personnages de
Racine ne meurent pas de circonstances host iles mais de leurs propres contradictions intérieures. Le sérail est
donc ici intérieur, sa complexité plus grande encore et l’enfermement intime.
L’action se passe au coeur d’un harem, lieu des fantasmes confondus. Le bruit du monde, celui des batailles lointaines, des retours incertains, des alliances contre nature percent lentement l’épaisseur des murs et plus lentement encore celle de la peau pour s’immiscer jusqu’au coeur, comme un être utérin tente de discerner l’écho sourd du monde extérieur. Tout l’enjeu de la langue de Racine est contenu dans cette porosité entre le monde et son écho en soi. Cette géographie est la seule à étudier et confond tous les royaumes raciniens, qu’ils soient grecs ou ottomans. La langue est dédaléenne et l’oratorio qu’encourage le plateau du Studio Marigny nous amène, nous oblige à cette étude concentrée.
Éric Ruf
Bajazet de Jean Racine
mise en scène
Éric Ruf
lumière
Bertrand Couderc
avec
Sylvia Bergé, Clotilde de Bayser, Hervé Pierre, Bakary Sangaré, Birane Ba, Élissa Alloula, Claïna ClavaronSTUDIO MARIGNY
17 OCT > 15 NOV 2020
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