Entre force et fragilité, Swann Arlaud défend sur scène une nouvelle version de Exécuteur 14 d’Adel Hakim, une évocation troublante et sans grandiloquence de la guerre qui résonne tragiquement avec l’actualité.
Mort à la fin de l’été 2017, l’homme de théâtre Adel Hakim a légué une œuvre à la fois représentative de l’attention qu’il portait aux conflits qui bouleversent le monde, et notamment le Proche-Orient, et de l’humanité profonde avec laquelle il s’engageait poétiquement et scéniquement à les restituer. Bien avant Antigone ou la saga israélo-palestinienne Des roses et du jasmin, l’ancien codirecteur du Théâtre des Quartiers d’Ivry avait écrit un premier texte, éminemment politique, d’un souffle plus brut et moins romanesque : Exécuteur 14.
Cette pièce prend pour cadre un lieu volontairement indéterminé mais dans lequel on peut reconnaître le Liban, où l’artiste, né au Caire, a vécu, avant de venir en France pour suivre des études et se former au théâtre. Elle fait état d’une guerre entre Adamites et Zélites qui s’anéantissent sans concession, et plus généralement de la guerre, de toutes les guerres, dont l’évocation de la violence barbare et gratuite, saisit, tandis qu’elle fait douloureusement écho aux ravages criminels dont est impitoyablement victime le peuple ukrainien aujourd’hui.
Des éclats de balles, de bombes, des giclées de flammes, des salves de clachinques, traversent et strient le monologue écrit et créé au tout début des années 1990 avant d’être traduit et monté dans plus de vingt langues depuis. A l’âge de quinze ans, Swann Arlaud a vu la pièce interprétée par Jean-Quentin Châtelain et en reçoit un choc. Il la porte désormais à son tour, avec une remarquable finesse, même sous la direction trop peu entreprenante de Tatiana Vialle.
Dernier survivant d’une guerre civile, son personnage suit le fil de sa mémoire pour raconter d’insoutenables souvenirs du front. Il avait tout d’un innocent. Il ne connaissait rien à la cruauté. La guerre pour lui était un jeu d’enfant au cours duquel le maniement des armes rendait fier. Le viol puis le meurtre de sa petite amie par des soldats du camp ennemi le font basculer dans une haine qui justifie le pire. C’est cela qu’il raconte, son parcours de victime devenu bourreau.
Jusqu’au vertige, le climat sonore particulièrement heurtant et étouffant que crée sur scène le percussionniste et multi-instrumentiste Mahut, accompagne le parcours chaotique du personnage, jeune homme apeuré et reclus dans son logement à l’abri du danger qui menace de défigurer la ville ; puis, guerrier combatif en l’honneur du Très-haut. Silhouette lambda, presque fébrile, en jean, tee-shirt, baskets, Swann Arlaud arpente hagard son champ de ruines, avec une dimension grave et solide, qu’une étonnante candeur enfantine et une vulnérabilité viennent mâtiner d’une insondable ambiguïté pour dire toutes l’horreur et l’impuissance d’un tel destin.
La scénographie qui s’apparente à un chantier fait état de la destruction et de la désolation dont est fortement emprunt le récit. Juché en haut d’ un échafaudage ou bien cloué au sol, emmitouflé dans une épaisse couverture, l’acteur laisse s’exprimer des pulsions à travers lesquelles violence et souffrance se confondent. Swann Arlaud fait un début un peu timide puis il fend vite l’armure et déploie une belle et sensible densité. La mise en scène ne propose sans doute pas une forme suffisamment audacieuse et engageante pour solliciter et porter l’acteur aussi bien physiquement qu’émotionnellement. Pourtant, celui-ci réalise une belle et prenante performance.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Exécuteur 14
Une pièce de Adel Hakim
Mise en scène Tatiana Vialle
Avec Swann Arlaud et Mahut
Lumières Christian Pinaud
Scénographie Chantal de la CosteDurée : 1h20
Théâtre 14, Paris
Du 5 au 16 avril 2022
mardi, mercredi et vendredi à 20h, jeudi à 19h, samedi à 16
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