Pour célébrer la réouverture du Théâtre de la Colline cet été, le metteur en scène a confié l’une de ses pièces phares à une troupe de comédiens trentenaires. Sensible et poétique, sa proposition d’un théâtre à l’état de nature manque toutefois d’un souffle porteur, capable de la transformer en tourbillon ravageur. La pièce est de nouveau à l’affiche en décembre pour le deuxième déconfinement.
Et soudain le rideau de fer se leva. Comme pour libérer un théâtre trop longtemps confiné. Le plateau du Théâtre de la Colline est tel qu’en lui-même. Nu, immense. De ses entrailles, profondes, se dégage un souffle d’air qui vient rafraîchir la moiteur d’une salle où la distanciation physique est désormais la règle. Pour cette re-création imprévue de Littoral, Wajdi Mouawad a fait avec les moyens du bord. Exit, donc, les scénographies – souvent imposantes – d’Emmanuel Clolus, et place à un théâtre primitif, qui prouve, ce faisant, sa résilience. L’espace de jeu ? Délimité par quatre morceaux de scotch blanc. Les costumes ? Cueillis sur un cintre qui tombe du plafond. Le décor ? Réduit à quelques jeux de lumières, conçus pour guider les spectateurs dans la multitude de lieux, d’espaces et de temps que traversent les personnages lors de ce voyage initiatique et mortuaire.
Sur scène, pénètre une poignée de comédiens, tous trentenaires, ou presque. De l’âge de ceux qui, il y a plus de vingt ans, avaient accompagné Wajdi Mouawad, de l’autre côté de l’Atlantique, pour la création de ce qui deviendra la première partie de sa tétralogie Le Sang des Promesses, et restera comme la sensation du Festival d’Avignon 2009. Scindés en deux distributions – l’une à dominante féminine, l’autre masculine –, leurs visages sont familiers. Tous ont déjà cheminé avec le patron de la Colline, et devaient reprendre Notre innocence – fraîchement accueilli lors de sa création en 2018 – avant que le confinement ne les en empêche. Drapés, cette fois, dans le confort de la fiction, ils font montre, dès les premières secondes, d’un aplomb et d’une énergie sans faille. Tels des lions affamés, privés ces derniers mois de nourriture artistique et scénique, les voilà décidés à croquer le théâtre à pleines dents.
Pour répondre à son choix de distribution genrée, Wajdi Mouawad a adapté à la marge son Littoral. Au soir de la première, Wilfrid, l’orphelin, a cédé sa place à Nour, l’orpheline. Comme son alter ego masculin, la jeune femme n’a qu’une idée en tête : parcourir les monts et vallées d’un pays dévasté par la guerre pour trouver un lieu de sépulture à son père, récemment décédé. Sans en traiter directement, la thématique résonne, de façon flagrante, mais toute raison gardée, avec la situation de ces familles qui, ces dernières semaines, ont, à travers toute la France, perdu des êtres chers, balayés par le Covid-19, sans pouvoir, le plus souvent, les accompagner et leur dire adieu comme ils l’avaient imaginé. Elle résonne, aussi, avec le devenir de cette jeunesse qui, aujourd’hui, doit se trouver un nouveau cap pour se frayer un chemin et continuer d’avancer, malgré les vents contraires qui commencent à souffler.
Ce pari d’un théâtre pauvre, aux antipodes de la « mode » actuelle, est audacieux, à bien des égards. Il chamboule les habitudes des spectateurs, désormais abonnés au confort des effets de manche scénographiques ; et fait reposer la lourde charge du spectacle, long de plus de 2h40, sur les seules épaules des comédiens. Quelques-uns – Emmanuel Besnault, Hayet Darwich, Julie Julien et Theodora Breux – parviennent à porter haut, et à toucher du doigt, à certains instants, l’intensité poétique de la plume mouawadienne, mais la jeune troupe est inégalement à l’aise avec ce copieux substrat qui, étonnamment, s’étiole parfois en longueurs et bavardages. De façon tout aussi surprenante, la mise en scène de Wajdi Mouawad se révèle bien peu riche en idées. Ses quelques tentatives, toujours sensibles – le jeu initial avec les cintres, la figuration artisanale de la mer –, font mouche, mais sont trop sporadiques pour servir de moteur. Aussi belle et touchante soit-elle, cette épopée vers les origines semble alors faire du sur-place et manquer de ce vent porteur qui lui permettrait de se transformer, comme elle en est capable, en un tourbillon d’émotions ravageur.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Littoral
Texte et mise en scène Wajdi Mouawad
Sur une idée originale de Isabelle Leblanc et Wajdi Mouawad
Avec Patrick Le Mauff, Hatice Özer, Julie Julien, Hayet Darwich, Jade Fortineau, Darya Sheizaf, Emmanuel Besnault, Théodora Breux, en alternance avec Gilles David de la Comédie-Française, Maxime Le Gac-Olanié, Lisa Perrio, Lucie Digout, Maxence Bod, Yuriy Zavalnyouk et Paul Toucang
Musiciens Pascal Humbert et Charles Segard-Noirclère
Assistanat à la mise en scène Vanessa Bonnet
Musiques originales Pascal Humbert et Charles Segard-NoirclèreLittoral a paru aux éditions Actes Sud-Papiers en 2009 et l’année suivante dans la collection Babel
Remerciements à Stéphanie Mazunya, Mohamed Bouadla, Simon Rembado et Pascal SanglaProduction La Colline – théâtre national
Durée : 2h40
Théâtre de la Colline, Paris
du 15 au 30 décembre 2020
du lundi au samedi à 18h et le dimanche à 15h30
relâches les 20, 24, 25 et 28 décembre
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