A La Reine-Blanche, le metteur en scène part sur les traces du physicien Ettore Majorana, mais souffre de la dramaturgie confuse et du didactisme excessif de la pièce composée par Florient Azoulay et Elisabeth Bouchaud.
Au rang des physiciens stars, le nom d’Ettore Majorana est, sans nul doute, moins connu que ceux de certains de ses contemporains, tels Albert Einstein ou Pierre et Marie Curie. Pourtant, ce petit prodige a, dans les années 1920 et surtout 1930, fait partie de la dream team qui, aux quatre coins de l’Europe, a permis à la physique d’avancer à pas de géant pour aboutir à la science extrêmement poussée que nous connaissons aujourd’hui. Scientifique de génie, mathématicien hors pair, l’homme était toutefois plus à l’aise pour résoudre des équations complexes que pour tisser des relations humaines. Un mal être qui a, suppute-t-on, largement contribué à sa disparition survenue en 1938. Alors âgé de 31 ans, Majorana embarque pour Palerme et laisse derrière lui deux lettres, dont l’une, adressée à sa famille, exprime ses intentions de suicide. Finalement, l’homme débarque bien sur son île natale, d’où il envoie un télégramme et une autre missive qui annoncent son retour à Naples et sa volonté de renoncer à l’enseignement. Sauf qu’Ettore Majorana ne reparaîtra jamais, comme dissous dans un mystère qui reste, à ce jour, non élucidé.
Fascinés par cette curieuse évaporation, Florient Azoulay et Elisabeth Bouchaud se sont lancés à sa poursuite. Dans Majorana 370, ils tentent de reconstituer la vie du physicien, et notamment son quotidien au sein du groupe d’Enrico Fermi, connu sous le nom des ragazzi di Via Panisperna (les garçons de la rue Panisperna), sur fond de montées parallèles du fascisme et du nazisme. A ce portrait, déjà complexe tant il grouille d’éléments largement méconnus, les deux co-dramaturges ont cru bon de mêler une autre histoire, celle de Cléia et de sa compagne Carine. Physicienne de notre temps, captivée par la figure de Majorana, la première doit faire face à la disparition de la seconde. Passagère du vol MH370 qui, dans la nuit du 8 mars 2014, a subitement disparu des écrans radar, Carine s’est, elle aussi, évaporée, alors qu’elle revenait d’un court séjour à Kuala Lumpur où elle voulait remonter le fil de ses origines.
Ces deux destins brisés, Florient Azoulay et Elisabeth Bouchaud tentent de les mettre en regard l’un de l’autre. Maladroitement croisés, ils aboutissent à une dramaturgie confuse qui enchevêtre au chausse-pied les lieux et les époques. Les deux histoires paraissent traitées très superficiellement, de façon quasi anecdotique, alors que l’une, comme l’autre, aurait peut-être mérité un spectacle à part entière. A force de multiplier les entrées, les dramaturges sont tombés dans le piège de l’artificialité, face à l’impossibilité de concilier, avec finesse et justesse, ces deux récits qui tirent à hue et à dia. D’autant que, par peur de perdre les spectateurs dans un dédale de références scientifiques, l’ensemble est noyé dans un didactisme excessif. Au souffle dramatique, Florient Azoulay et Elisabeth Bouchaud ont préféré la pédagogie qui transforme leur pièce en laborieux cours de physique, teinté d’histoire. Malgré la matière première en leur possession, ils ne parviennent jamais à montrer l’intérêt d’un tel assemblage qui croule sous son propre poids.
A l’avenant, la mise en scène de Xavier Gallais s’inscrit à la remorque du texte, comme soumise à lui. Insuffisamment tonique, elle se contente d’exploiter sa seule bonne idée de départ : le laboratoire futuriste qui lui permet de traverser les espaces et les temps. Conçue par Luca Antonucci, cette élégante scénographie devient rapidement une cage dorée, d’où une vague impression de stagnation se dégage alors que la pièce avance à toute allure. Sans totalement démériter, la troupe de jeune comédiens paraît insuffisamment charpentée pour sortir le spectacle de l’ornière. Entre incarnation et distanciation, ils se perdent dans la confusion entretenue par la pièce et ne semblent pas toujours y croire. Au double mystère de départ, ils ajoutent un soupçon de… mystère et font de l’ensemble un interminable imbroglio.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Majorana 370
Texte Florient Azoulay, Elisabeth Bouchaud
Mise en scène Xavier Gallais
Assistante à la mise en scène Sandrine Delsaux
Avec Manon Clavel, Sylvain Debry, Mégane Ferrat, Benjamin Gazzeri Guillet, Jean-Baptiste Le Vaillant, Marie-Christine Letort, Alexandre Manbon, Simon Rembado
Scénographie Luca Antonucci
Création musicale Olivier Innocenti
Création sonore Florent Dalmas
Création lumières Matthieu Ferry
Costumes Delphine Treanton
Chorégraphie Fabio DolceProduction (RB|D) Productions
Coproduction AntisthèneDurée : 1h50
Théâtre de La Reine-Blanche, Paris
du 21 janvier au 5 avril 2020
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