Créé en ouverture de l’édition 2020 de Spring (5 mars – 5 avril 2020), le festival des nouvelles formes de cirque en Normandie, Cadavre Exquis d’Elodie Guezou questionne la place de l’interprète dans le nouveau cirque. Inspiré du jeu surréaliste dont il porte le nom, ce solo signé par 12 metteurs en scène bouleverse aussi avec bonheur les hiérarchies habituelles de la discipline.
Avec ses 60 spectacles programmés dans l’ensemble de la Normandie en l’espace d’un mois, Spring 2020 se veut le reflet de l’état actuel du nouveau cirque. Comme les éditions précédentes de ce festival né en 2017 de la réunion des deux Pôles nationaux cirque de la région – La Brèche à Cherbourg et le Cirque-Théâtre d’Elbeuf –, celle-ci célèbre l’ouverture de la discipline à toutes les formes d’expression. À travers la thématique « Ancien Monde / Nouveaux Mondes », elle souligne aussi le fait que « de grandes équipes artistiques passent le relais aux mondes qu’ouvrent les nouvelles générations, tel le Cirque Plume, qui signe son dernier acte artistique. D’autres compagnies sont traversées par des mutations esthétiques profondes : avec Möbius, XY transforme les codes de son vocabulaire acrobatique, aux côtés de Rachid Ouramdane. Avec L’Âne & la carotte, Lucho Smit quant à lui décrypte les différentes étapes qui jalonnent déjà l’écriture du cirque contemporain », dit dans son édito Yveline Rapeau, directrice de la Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie.
Créé le 5 mars 2020 au Trident, Scène nationale de Cherbourg-en-Cotentin en partenariat avec La Brèche, Cadavre Exquis d’Elodie Guezou interroge lui aussi l’évolution de la discipline. Et il se situe à la frontière de plusieurs mondes. En s’inspirant du fameux jeu surréaliste né en 1925, la conceptrice et interprète de la pièce incarne le visage pluriel qu’arbore aujourd’hui le nouveau cirque. En invitant douze artistes aux pratiques diverses à la mettre en scène dans des formes de 5 minutes, en respectant des contraintes précises – traiter de l’identité et du regard de l’autre, avec elle-même pour seule interprète et des moyens techniques limités, en prenant en compte les dernières secondes de la proposition précédente –, la chanteuse, comédienne, mannequin, contorsionniste et danseuse met en jeu ses dix années d’expérience dans le spectacle vivant.
En se prêtant à l’imaginaire de metteurs en scène et de circassiens aux esthétiques très différentes, mais aussi d’une performeuse photographe (Sophie Calle) et d’un vidéaste (Matthias Castegnaro), Elodie convoque des compétences qu’elle utilise d’habitude de manière séparée. En exhibant toutes les strates artistiques qui la constituent en tant qu’interprète, elle se rassemble. Elle affirme une personnalité multiple et portée vers l’analyse autant que vers le risque. Dans Cadavre Exquis, Elodie Guezou est loin de faire la morte : en sollicitant elle-même la direction de douze figures de la scène artistique d’aujourd’hui, elle se met au défi de l’époque. Elle interroge sa place dans un paysage contrasté qu’elle a déjà largement parcouru, tout en en explorant de nouveaux arpents. Le primat du geste de mise en scène, admis aujourd’hui dans le milieu du théâtre comme dans celui du nouveau cirque, est ainsi remis en cause. Face au processus collectif et fragmentaire dont la création garde trace de toutes les étapes, il apparaît comme un arbitraire qui n’est pas forcément mauvais, mais qui limite les possibles.
Très clairement séparées les unes des autres par un système de décompte et d’annonce des participants, les différents morceaux de Cadavre Exquis sont de qualité variable. On reconnaît parfois aisément la marque de fabrique de son metteur en scène – les parties du vidéaste Matthias Castegnaro, du magicien Yann Frisch, du metteur en scène Mohamed El Khatib ou encore de la directrice musicale Camille sont assez facilement identifiables. Mais quid de Nicolas Vercken, metteur en scène de la compagnie de théâtre de rue Ktha, de la circassienne Yaelle Antoine, du clown Alexandre Pavlata, du « circographe » Alexander Vantournhout, de la metteure en scène Séverine Chavrier, de la performeuse Sophie Calle ou encore de Phia Ménard ? Les noms des douze « joueurs » n’étant cités que sur la feuille de salle, et non dans le spectacle, on hésite souvent. Dans chaque scène, la part de l’interprète et celle du metteur en scène varie.
Le jeu d’Élodie Guezou suscite alors chez le spectateur une autre expérience ludique : on cherche à deviner non seulement l’identité des « joueurs », mais aussi leurs méthodes de travail. Leur manière de dialoguer avec les talents multiples d’Elodie Guezou, leur façon de les valoriser, ou d’en explorer les limites. Et leur capacité à se laisser déplacer par leur commanditaire. Sans renoncer au découpage par numéros traditionnel dans le cirque, Elodie Guezou réussit à en faire quelque chose d’inattendu : la base d’une réflexion sur le statut de l’interprète, qui se prolonge par l’exposition des carnets de création de tous les metteurs en scène. Au bord de la piste, entre le monde et le cirque.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Cadavre Exquis de et par Élodie Guézou
Lumière : Alex Hardellet
Musique : Gentien De Bosmelet
Metteur.se.s en scène :
Nicolas Vercken ( Ktha cie) ( Théâtre en espace urbain)
Matthias Castegnaro ( Vidéaste)
Alexandre Pavlata ( Clown )
Yaelle Antoine ( Cirque féminin)
Mohamed El Khatib ( Théâtre documentaire )
Raphaëlle Latini ( Artiste sonore et chorégraphe )
Yann Frisch ( Magie nouvelle )
Marlène Rostaing ( Chorégraphe )
Alexander Vantournhout ( Circographe )
Florence Deygas ( Créatrice visuelle )
Tatiana Marte ( Chanteuse, auteure, compositrice )Regards Extérieurs :
Marine Jardin
Dimitri HattonVoix Off :
Marianne JametCoproductions :
Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie / La Brèche à Cherbourg et le Cirque-Théâtre d’Elbeuf ;
Le Carré Magique, Pole Cirque Bretagne ;
La Verrerie d’Alès / Pôle National Cirque Occitanie
Soutiens, accueil en résidence :La Fonderie en partenariat avec Le Mans fait son Cirque ;
Théâtre de Saint Lô ;
Fours à chaux de Regnèville sur Mer en partenariat avec le Conseil Départemental de la Manche;
Espace Périphérique de Paris
Trident, Scène nationale de Cherbourg-en-Cotentin en partenariat avec La Brèche, Pôle National Cirque de Normandie,
L’arrondi – lieu de création à SoulairesSoutiens institutionnels :
Ville de Rouen,
Département de Seine Maritime,
Région Normandie,
Drac NormandieDurée : 1h10
Spring 2020
5 mars 2020 à 19h PREMIÈRE
Scène Nationale le Trident – Le Vox, Cherbourg (50)5 Mai 2020 à 20h30
Théâtre de Saint Lô (50)
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