Aussi modeste formellement que poignant par l’indicible de son propos, Médéa Mountains est porté – et chanté – avec puissance et sincérité par Alima Hamel.
Une petite lampe rouge tenue dans le creux de ses mains illuminant son visage et projetant l’ombre de celui-ci sur le grand écran de papier blanc situé en fond de scène – le reste du plateau étant plongé dans l’obscurité –, Halima Hamel nous regarde. « J’ai vingt-deux ans. Je viens de perdre ma sœur morte de mort violente. » Ces deux phrases brèves, tranchantes, les premières de Médéa Mountains, la chanteuse, musicienne et poétesse les prononce après quelques mesures d’un chant pur, à la beauté saisissante.
Seule en scène sur un plateau nu seulement occupé par l’écran où va progressivement être dessiné le territoire de Médéa, Alima Hamel va, ainsi, en alternant chants et récits, raconter l’histoire de sa famille. Celle de sa sœur, de ses sœurs, la sienne, aussi. Très simplement, elle va convoquer ses souvenirs, de son enfance à Nantes à leurs vacances en famille à Médéa, petite ville située dans une région montagneuse d’Algérie au sud-ouest d’Alger, et dont ses parents sont originaires. Soutenue par une création musicale subtile (signée par Adrien Maury) en ce qu’elle épouse le rythme du récit – passant de séquences très douces, ténues, en sourdine, à d’autres plus envahissantes, puissantes comme les émotions évoquées – Alima Hamel égrène l’histoire familiale. Une histoire dont nous ne saurons pas tout, avec ses trous et ses oublis, mais qui dit l’essentiel : l’itinéraire des cinq sœurs, et la manière dont chacune composera ou pas avec les vues que leurs parents ont pour elles. Car tout comme l’union du père et de la mère est le fruit d’un mariage arrangé, les filles découvrent être destinées à rester à Médéa afin d’y fonder une famille. Avec ce basculement, la petite ville autrefois associée aux vacances insouciantes et joyeuses devient synonyme d’un enfermement à perpétuité.
Ces destins forcés, auxquels toutes se refusent, mais que seules deux réussiront à éviter – dont Alima, la benjamine – ne seront pas le seul drame affectant la famille. Aux tragédies intimes s’ajoutent celles liées au contexte politique : la « décennie noire », soit la guerre civile qui opposera le gouvernement algérien à divers mouvements islamistes de 1991 en 2002. Si l’assassinat de l’une des sœurs ne fait que parachever la dislocation de la famille d’Alima, il sonne aussi comme un double crime de la part des parents. Coupables d’avoir imposé une vie qu’elles ne désiraient pas à leurs filles, ils ont condamné l’une d’elle à une mort atroce.
Dans un jeu direct et d’une grande justesse, Alima Hamel raconte l’atomisation de sa famille, l’impact de cette tragédie sur sa vie personnelle – son choix de devenir chanteuse est lié à celle-ci – et le lent cheminement l’amenant à désirer en savoir plus sur la mort de sa sœur. Avec de simples gestes – quelques lettres tracées sur l’écran de papier, le recours à un théâtre d’ombres lorsqu’elle passe de l’autre côté dudit écran –, l’artiste transmet avec sobriété cette histoire. Il y a une beauté poignante autant dans sa présence concrète, dans ses chants mélodieux en algérien ou en français touchant aux entrailles, que dans la fluidité de l’ensemble. Accompagnée pour la création de ce spectacle par le circassien Aurélien Bory à la mise en scène et à la scénographie et Charlotte Farcet à la dramaturgie, la chanteuse et musicienne fait plus que livrer un témoignage émouvant. Tombeau pour la sœur disparue, Médéa Mountains se révèle également un puissant geste de résilience. Un geste bouleversant porté par un dispositif scénographique qui avec modestie mais efficacité donne corps au double mouvement à l’œuvre : le dessin des liens souterrains entre géographie réelle, familiale, et géographie des souvenirs.
Médéa Mountains
Avec Alima Hamel
Conception, textes, interprétation : Alima Hamel
Scénographie, mise en scène : Aurélien Bory
Dramaturgie, collaboration artistique : Charlotte Farcet
Composition musicale et sonore : Adrien Maury
Conception machine : Stéphane Chipeaux-Dardé
Création lumière : Arno Veyrat
Création costumes : Manuela Agnesini
Régie Générale : Géraldine Belin
Régie son : Adrien Maury
Régie lumière : Didier BarreauPRODUCTION DÉLÉGUÉE Compagnie 111 – Aurélien Bory
COPRODUCTION (EN COURS) Théâtre Sorano – Toulouse
RÉPÉTITIONS ET RÉSIDENCES
La nouvelle Digue – Toulouse, Théâtre Sorano – ToulouseUN PROJET SOUTENU PAR Le Conseil Départemental de la Haute-Garonne, la Région Occitanie/Pyrénées-Méditerranée
La Compagnie 111 – Aurélien Bory est conventionnée par la Direction Régionale des Affaires Culturelles Occitanie / Ministère de la Culture et de la Communication, la Région Occitanie / Pyrénées – Méditerranée et la Mairie de Toulouse. Elle reçoit le soutien du Conseil Départemental de la Haute-Garonne.Durée: 1h
du 11 au 16 octobre 2024
Théâtre des Quartiers d’Ivry
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