Les créations qui empruntent à Antonin Artaud sont nombreuses en ce mois de novembre : du Bajazet de Franck Castorf au Artaud de Sergio Boris. L’élément central de la théorie d’Artaud est le théâtre de la cruauté. Beaucoup s’en réclament, mais, finalement, qu’est-ce que c’est ?
Le « théâtre de la cruauté » est développé dans l’un des livres les plus célèbres d’Artaud, Le Théâtre et son double, paru en 1938. L’ouvrage est un mélange d’essai et de lettres, au milieu duquel se trouvent tous les éléments qui permettent de comprendre ce qu’est le « théâtre de la cruauté ».
En prenant cette formule pour nommer ce concept, l’auteur joue avec notre connaissance et notre perception du mot cruauté. Nulle part, Artaud invite à mettre en scène des tortures ou des dissections – bien qu’elles puissent faire partie de son spectacle – mais il encourage à retourner à la force étymologique du mot qui, comme on peut s’en douter, n’est pas ce qu’on imagine. Dans sa première Lettre sur la cruauté, il précise : « du point de vue de l’esprit, cruauté signifie rigueur, application et décision implacable, détermination irréversible, absolue ». Plus loin, il ajoute : « l’identification de la cruauté avec les supplices est un tout petit côté de la question ».
Antonin Artaud part d’un constat, d’un besoin d’un théâtre « qui réveille nerfs et cœur ». Pour lui, « le théâtre doit posséder une action immédiate et violente ». Ce théâtre doit faire écho, prendre sa source « dans la période angoissante et catastrophique que nous vivons », il veut faire du théâtre un endroit « que les événements ne dépassent pas ». Ainsi, le théâtre doit être, selon lui, « une action poussée à bout et extrême », c’est par ce radicalisme que le théâtre doit se renouveler. Pour Artaud, un « crime présenté dans les conditions théâtrales requises est pour l’esprit quelque chose d’infiniment plus redoutable que ce même crime réalisé ».
Ainsi, dans un manifeste d’une vingtaine de pages, il développe un appareil théorique d’une précision remarquable, presque un mode d’emploi, pour révolutionner le théâtre, en faire « le théâtre de la cruauté ».
En préambule, il encourage à rompre l’assujettissement du théâtre au texte pour retrouver « la notion d’une sorte de langage unique à mi-chemin entre le geste et la pensée ». Il s’agit de faire du théâtre une fonction. La mise en scène doit être le départ de toute création théâtrale. Il encourage à prendre un thème et à commencer tout de suite la mise en scène.
Le spectacle doit contenir un « élément physique et objectif sensible à tous », autrement dit, des effets particulièrement spectaculaires : cris, beauté magique, apparitions magiques, masques, mannequins de plusieurs mètres ou encore des changements brusques de lumière. Le langage du spectacle ne doit pas supprimer la parole, mais donner autant d’importance aux mots que celle qu’ils ont « dans les rêves ». Artaud encourage à employer des instruments de musique nouveaux ou anciens pour créer des sonorités inhabituelles pour produire des « bruits insupportables, lancinants ». La lumière devient un élément central, symbolique, elle doit produire le chaud, le froid, la colère ou encore la peur.
Autre élément central proposé par Artaud : transformer en un seul et même espace la scène et la salle. Il invite à installer le spectateur au milieu d’un hangar sur des chaises mobiles pour qu’il puisse voir tout autour de lui. Cela permettrait au spectateur d’être « sillonné » par la représentation.
Comme l’a souligné Camille Dumoulié en introduction à l’ouvrage Les Théâtres de la Cruauté, Artaud est devenu « l’inventeur de la cruauté entendu comme le créateur d’une expérience et d’une pensée nouvelle ». Par ce manifeste, Antonin Artaud a marqué certaines des grandes figures du XXe siècle et continue à marquer les esprits du XXIe siècle. En relisant son texte, on ne peut s’empêcher de penser à ce qu’Artaud aurait fait s’il avait été encore en vie aujourd’hui, bien qu’il existe un peu dans chaque génération d’artistes qui par des créations toujours plus surprenantes rendent hommage au « théâtre de la cruauté ».
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
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