A l’Opéra-Comique, Valérie Lesort, Christian Hecq et Raphaël Pichon relèvent haut la main les mille défis posés par l’opéra fastueux et baroqueux à souhait de Pier Francesco Cavalli.
Ercole Amante est un opéra hors norme à bien des égards. Fruit d’une commande du cardinal Mazarin à l’un des plus fameux compositeurs de son temps, le Vénitien Pier Francesco Cavalli, cet Hercule amoureux est tout entier dédié à la gloire de Louis XIV. Encore à l’aube de son règne, le roi venait d’accepter de s’unir à l’infante d’Espagne et méritait bien, en guise de récompense, un spectacle aussi fastueux que somptueux pour célébrer sa puissance en devenir. A l’époque, la monarchie ne recula devant aucune audace et confia à l’architecte de théâtre Gaspare Vigarani la construction d’une immense « Salle des Machines » en plein cœur des Tuileries. Handicapé par sa monumentalité, le projet prit du retard, tant et si bien, qu’il ne fut pas livré à l’heure pour les noces royales, mais vingt mois plus tard, en février 1662. Entre temps, le contexte politique et artistique avait évolué, et Cavalli dut se résoudre à voir son travail en grande partie éclipsé par l’intégration dans l’œuvre d’origine d’un « Grand Ballet du Roi », signé Lully, où le monarque en scène prenait toute la lumière. Fraîchement accueilli par le public, Ercole Amante fut un échec. La pièce ne fut rejouée qu’une seule fois à Paris – en 1981, au Châtelet, sous la direction de Michel Corboz, dans une mise en scène de Jean-Louis Martinoty – jusqu’à aujourd’hui.
Pour Raphaël Pichon, Valérie Lesort et Christian Hecq, cette nouvelle adaptation avait tout d’une entreprise de réhabilitation. Histoire de rendre grâce au travail du compositeur vénitien, le patron de l’ensemble Pygmalion a pris le parti d’exfiltrer les ballets de Lully, façon, pour lui, de remettre la partition de Cavalli au centre de tout afin d’en révéler la richesse et la beauté. Galvanisés par le succès de leur Domino Noir, Valérie Lesort et Christian Hecq ont, de leur côté, choisi de prendre le livret de Francesco Buti à bras-le-corps. Une gageure lorsque l’on prend conscience de son caractère pour le moins prolixe. A partir d’une intrigue basique – amoureux d’Iole, mais marié à Déjanire, Hercule cherche, avec l’aide de Vénus, mais contre la volonté de Junon, à l’obtenir par tous les moyens alors qu’elle est promise à son fils, Hyllus –, l’abbé Buti a tissé un livret remarquablement complexe où les références mythologiques se mêlent aux flagorneries politiques, et les personnages se multiplient autant que les circonvolutions dramaturgiques, un rien discutables.
Aux prises avec ce substrat dodu, Valérie Lesort et Christian Hecq ne se sont pas dérobés. Guidés par un objectif de limpidité, ils déploient des trésors d’inventivité pour faciliter l’identification des personnages et transformer les situations, toutes plus incongrues les unes que les autres, en petites bulles poétiques. Aussi mouvant que la musique de Cavalli, le décor de Laurent Peduzzi – sorte d’amphithéâtre dans le théâtre – se transforme en étonnante boîte à jouer d’où sortent des créatures, mi-marionnettes, mi-machines, remarquables de finesse et de créativité. De la difficulté à faire arriver Junon à dos de paon ou à faire apparaître Neptune pour sauver Hyllus au beau milieu des flots, le duo fait une force. Soutenu par le travail d’orfèvre de Vanessa Sannino, il confère à l’ensemble un charme féérique et enchanteur, voire un début de ressort comique qui tranche, et c’est heureux, avec la tragédie forcée du livret. Parmi les meilleures tableaux, le prologue et l’épilogue, construits dramaturgiquement et musicalement en écho, font figure, dans leur réalisation scénique, de magnifiques moments de grâce. Entre-deux, le spectacle souffre parfois de quelques baisses de régime, dues à une direction d’acteurs un peu sage qui, sans grain de folie particulier, ne réussit pas à transcender les atermoiements dramaturgiques.
Dans la fosse, la direction de Raphaël Pichon, aux commandes du toujours épatant ensemble Pygmalion, est à l’avenant. Aux audaces baroqueuses, il a préféré la sécurité d’une exécution minutieuse de la partition, qui outre le prologue et l’épilogue, d’une beauté à faire pâlir plus d’un compositeur, ne révèle véritablement toute sa richesse que dans l’acte IV, où une certaine virtuosité se fait entendre. Dans son travail d’expert, le jeune chef doit aussi composer avec un plateau vocal qui, exception faite de Giuseppina Bridelli et Luca Tittoto, manque globalement de puissance et d’éclat. Reste, alors, son merveilleux chœur, encore et toujours prêt à tous les actes de bravoure – comme il l’avait déjà prouvé, cet été, lors du Festival d’Aix, dans le Requiem de Romeo Castellucci –, qui offre à la représentation ses moments les plus captivants, drôles et poignants.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Ercole Amante (Hercule Amoureux)
Opéra en un prologue et cinq actes de Pier Francesco Cavalli
Livret de Francesco Buti. Créé à Paris (Tuileries) en 1662.
Direction musicale, Raphaël Pichon
Mise en scène, Valérie Lesort et Christian Hecq (sociétaire de la Comédie Française)
Avec Nahuel Di Pierro, Anna Bonitatibus, Giuseppina Bridelli, Francesca Aspromonte, Krystian Adam, Eugénie Lefebvre, Giulia Semenzato, Luca Tittoto, Ray Chenez, Dominique Visse, Marie Planinsek, Perrine Devillers, Corinne Bahuaud, Olivier Coiffet, Renaud Brès, Nicolas Brooymans, Constantin Goubet
Décors, Laurent Peduzzi
Costumes et machines, Vanessa Sannino
Lumières, Christian Pinaud
Collaboration aux mouvements, Rémi Boissy
Réalisation des marionnettes, Carole Allemand, Sophie Coeffic, Valérie Lesort
Assistant mise en scène Olivier Podesta
Assistante scénographie Maïté Vauclin
Assistante costumes, Peggy Sturm
Chef de chant, Pierre Gallon
Danseurs, Anna Beghelli, Rémi Boissy, Leslie Dzierla, Mikaël Fau, Florence Peyrard
Chœur et Orchestre, Ensemble PygmalionProduction Opéra Comique
Coproduction Château de Versailles Spectacles, Opéra National de BordeauxDurée : 3h30, entracte compris
Opéra Comique, Paris
du 4 au 12 novembre 2019Opéra Royal de Versailles
les 23 et 24 novembre 2019, puis les 15, 16 et 17 mai 2020Théâtre de Caen
du 29 avril au 2 mai 2020
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