Cette semaine, au Théâtre de Vidy-Lausanne, Frank Castorf crée Bajazet – en considérant le Théâtre et la peste, d’après Jean Racine et Antonin Artaud. Si cette tragédie n’est que peu jouée, elle semble connaître un regain d’intérêt ces dernières années. Mais qu’est-ce qui fait sa particularité ?
L’intrigue de Bajazet est celle d’une rivalité amoureuse, d’un homme pris entre deux femmes. L’une qu’il aime, l’autre qu’il promet d’aimer pour avoir la vie sauve. Ce triangle, qui pourrait être banal, n’a plus rien de simple lorsqu’il est transporté dans un l’Orient lointain, jusque dans un sérail de Constantinople. Pour ajouter un peu de complexité, comme dans Bérénice ou Britannicus, la passion amoureuse et politique s’entremêlent au fil de la pièce.
Bajazet est la seule création de Racine qui se déroule en Orient. Il s’agit aussi de l’unique pièce qui puise sa source dans l’histoire récente. Tout part d’un fait rapporté au début des années 1630 par l’ambassadeur à Constantinople : l’assassinat de Bajazet, frère cadet du sultan turc. Plusieurs histoires seront écrites sur ce fait avant la pièce de Racine, qui lui-même s’en inspirera. Si, habituellement, la tragédie prend pour source des histoires lointaines dans le temps, pour Bajazet, la chronologie est remplacée par la géographie. La distance nécessaire est produite par cet Orient lointain.
Racine n’est pas le seul à s’intéresser à la Turquie. Bajazet est créée à l’Hôtel de Bourgogne en 1672 (deux ans auparavant, Molière y avait fait jouer Le Bourgeois Gentilhomme). Paris se souvient aussi du passage de l’envoyé du Grand Seigneur Turc dans la capitale. Sa venue avait renforcé, auprès des classes riches tout du moins, la fascination que connaît la France pour l’Orient au début du règne de Louis XIV. Le Roi-Soleil tente, par ailleurs, un rapprochement avec l’Empire ottoman.
Des études, comme celle d’Amina Boukail, montrent comment l’Orient est représenté dans cette tragédie. Deux aspects en ressortent : la femme orientale qui réunit beauté magique et cruauté implacable – dans Bajazet, il s’agit de Roxane – et le lieu choisi par Racine : le sérail. Celui-ci revêt, dans la pièce, un aspect inquiétant, contribuant au tragique. Il est lieu d’enfermement, étouffant peu à peu ceux qui l’habitent.
Cependant, l’Orient ne trompe pas les rivaux de Racine. Corneille, parmi d’autres, souligne que les personnages de Bajazet, ont tous « sous un habit turc, les sentiments qu’on a au milieu de la France ». Laissant entendre que la distance n’a trompé personne, et que cela fait de ce texte une mauvaise pièce. Elle a en effet été considérée comme mineure pendant très longtemps. Jusqu’à aujourd’hui ?
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
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