Au Théâtre du Rond-Point, David Bobée met les acrobates Edward Aleman et Wilmer Marquez à rude épreuve. Soumis à une lumière aveuglante et à une température extrême, leurs corps souffrent autant qu’ils exultent, au long d’une danse charnelle rythmée par les mots de Ronan Chéneau et la voix de Béatrice Dalle.
Loin de la froidure de l’hiver, la salle Jean Tardieu du Théâtre du Rond-Point est en ébullition. Le thermomètre y affiche une température torride, proche des 30°C, qui oblige les spectateurs à ôter quelques couches de vêtements et à s’hydrater régulièrement. Encore dans la pénombre, Béatrice Dalle s’avance, fait le tour du plateau pour examiner les miroirs réfléchissants et les deux murs de lumière qui s’allument sur son passage, tels les feux du désir. On image aisément cette femme, seule, dans son appartement, en proie à une bouffée d’excitation, de celles qui font déborder les fantasmes et placent dans un état second. D’abord susurrés, ses mots, ceux du poème de Ronan Chéneau, prennent peu à peu le pouvoir, de l’esprit, puis des corps.
Face à elle, les yeux rivés sur son pupitre, deux hommes, deux frères dit-elle, prennent place pour pénétrer dans l’espace mental de cette femme et s’adonner à une partie fine à trois. L’un, Wilmer Marquez, est porteur ; l’autre, Edward Aleman, est voltigeur. Tous deux sont des acrobates de haut vol pour qui David Bobée a, tout spécialement, conçu cette performance. A l’image du texte de Ronan Chéneau, comme soumis à lui, leur gestuelle gagne, très progressivement, en intensité et en technicité. A mesure que l’acte se fait, dans les mots, plus charnel, sensuel, voire carrément, et bestialement, sexuel, la cadence de leurs mouvements s’accélère et leur duo prend de la hauteur. Il ne s’agit pas pour eux de mimer telle ou telle position – ce qui aurait pu confiner à la vulgarité –, mais de styliser ce qui constitue l’essence même du désir, et de faire exulter leurs corps.
Car le dispositif conçu par David Bobée, en amateur de construction circassienne qu’il est, met les deux acrobates à rude épreuve. Sur le plateau, la température dépasse désormais les 50°C et la lumière se fait aveuglante. Comme pris au piège, et en même temps galvanisés par cette fournaise érogène, Edward Aleman et Wilmer Marquez luttent pour ne pas sombrer. Le visage couvert de sueur qui leur brûle les yeux, ils voient, parfois, leur corps flancher et leurs figures s’effondrer à cause d’un geste moins précis qu’un autre. Sous la houlette autoritaire de Béatrice Dalle, plus maîtresse-femme et impériale que jamais, ils s’acharnent et remontent en selle, comme s’ils n’avaient pas vraiment d’autres choix.
Grâce à la musique hypnotisante de Frédéric Deslias, cette expérience totale stimule, tout à la fois, la vue, l’ouïe et le toucher. Dans sa façon de suggérer les faits, mais d’asséner leur ardeur, le poème de Ronan Chéneau va comme un gant à la comédienne qui se délecte de ce substrat au pouvoir évocateur puissant. Bien que leurs interactions se limitent à quelques regards, perçants, elle forme, avec les deux acrobates, une unité qui chemine dans le même sens, celui d’une célébration des corps et du désir. Décidément, il fait chaud, très chaud, ces jours-ci, au Théâtre du Rond-Point.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Warm
Texte Ronan Chéneau
Installation et direction David Bobée
Avec Béatrice Dalle, et les acrobates Edward Aleman et Wilmer Marquez (El Nucleo)
Lumière et installation Stéphane Babi Aubert
Musique Frédéric Deslias
Assistanat à la mise en scène Sophie Colleu
Production CDN de Normandie-Rouen
Coproduction Rictus, Les Subsistances / Lyon, L’Hippodrome / Scène nationale de Douai
Remerciements à la Brèche / Centre Régional des Arts du Cirque de Normandie
Avec l’aide du Conseil régional de Normandie, du Conseil général du Calvados (ODACC) et de la ville de CaenDurée : 55 minutes
Théâtre du Rond-Point, Paris
du 10 décembre 2019 au 5 janvier 2020Théâtre Auditorium de Poitiers, dans le cadre du Festival À Corps
du 8 au 10 avril
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