Comédienne, chanteuse, compositrice, poétesse… Estelle Meyer est beaucoup de femmes à la fois. Elle les rassemble toutes dans son spectacle Sous ma robe, mon cœur, et embarque avec elle toutes les créatures humaines, animales, fantastiques qui peuplent ses pensées. Avec joie, on se mêle à cette foule bigarrée.
Sur un petit bout de scène, tout près d’un clavier encore plongé dans l’ombre, brûlent des bougies de toutes tailles et de toutes couleurs. Avec elles, un bol, une marmite, une couronne dorée, un tissu soyeux et quelques autres objets non encore identifiables nous préparent à un rituel, à une cérémonie. Ils nous placent à l’écart de notre monde éclairé au néon ou à l’halogène, où les êtres et les situations semblent toujours vouloir affirmer leur logique, leur rationalité. Dès qu’elle entre en scène avec sa robe pailletée et sa coiffure dont les antennes ont l’air de saluer le ciel à travers le plafond, Estelle Meyer fait d’emblée de son autel et de ses accessoires des attributs magiques. Ses mots, qu’elle dit et surtout qu’elle chante dans Sous ma robe, mon cœur, réalisent d’emblée les promesses qui brillaient jusque-là dans leur coin. Ce sont des mots qui réveillent et qui relient. Des poèmes qui semblent venir de loin et se préparer encore à une longue route, traversant autant de terres connues que d’autres qui n’existent que dans les rêves.
On commence le voyage en compagnie d’une « femme du lac, qui danse et entrelace ». Une femme « aux baisers d’eau pâle » – ou d’opale ? –, « aux caresses de flammes ». Elle ouvre le chemin à de nombreuses autres créatures qui lui ressemblent pour être toutes nées de la même source : le premier livre-disque d’Estelle Meyer, publié en 2019 aux éditions Riveneuve Archimbaud sous le même titre que le spectacle créé plus tard aux Plateaux Sauvages et à présent en tournée. Dans cette œuvre poétique et musicale qu’elle considère comme un « assemblage de ses visages intimes, une ouverture délicate des voiles qui existent au fond de son être », l’artiste convoque en effet des présences ardentes, pour beaucoup féminines. C’est tout un cortège de femmes, d’animaux, d’arbres et de sortes chimères où se mêlent ces trois catégories du vivant que font se dresser les chansons d’Estelle Meyer, fougueusement mises en musique par le batteur et percussionniste Pierre Demange et le pianiste Grégoire Letouvet.
Avec un phrasé d’abord à la lisière du chant, puis tout à fait mélodique, Estelle Meyer raconte par exemple une autre chanteuse, rêvée. Une certaine Aïdé, femme lune, femme soleil, femme amour qui lui apprend à écrire « je » dans sa langue, en faisant « un grand mouvement vers le haut ». Il est question d’Inde aussi, au détour d’une phrase, d’un son, ou encore d’un pays de chamanes. Sous ma robe, mon cœur emprunte à bien des cultures, elle glane là une image, là un mot ou une pratique, un personnage, et les mêle tous ensemble comme on prépare un feu de joie. Car tout, pour Estelle Meyer, doit déboucher sur la joie. Pour elle-même – même si elle en est déjà bien riche avant d’avoir commencé le moindre rituel – et surtout pour les spectateurs, à qui elle s’adresse régulièrement avec tendresse et humour. Grâce à ses pouvoirs fabuleux, l’artiste nous déleste symboliquement de tous nos maux. Elle en fait un brasier dans sa marmite, avant de reprendre son tour de chant.
Tout comme les cultures, les humains et les animaux, le présent et le passé lointain, les disciplines se mêlent dans Sous ma robe, mon cœur. Le théâtre, auquel elle a été formée comme actrice – on a pu la voir notamment dans une mise en scène de Guillaume Vincent et du Birgit Ensemble –, se confond avec la chanson qu’elle pratique, dit-elle, depuis toujours. Comme le faisait sa mère, qu’elle dit présente dans ses veines, de même qu’« un grand-père violoniste, un autre viticulteur cultivant l’ivresse, la joie, une grand-mère récoltant la parole du monde, le tissage des femmes, une autre accouchant les âmes, fermant les yeux des morts, collectionnant les trèfles à 4 feuilles pour laisser toujours, une chance à la vie ». Tous ces aïeux sont présents sur scène, parmi tous les compagnons d’Estelle, dont nous faisons désormais partie.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Sous ma robe, mon cœur
Texte Estelle Meyer
Collaboration artistique Joséphine Serre
Conception, écriture, chant et jeu : Estelle Meyer
Piano, clavier : Grégoire Letouvet
Batterie, percussions : Pierre Demange
Régie son : Antoine Morelon
Création lumière : Tom Honnoré
Régie lumière : Johan Emi Mpuiba
Création costumes : Suzanne Veiga Gomes
Cheffe de projet : Carole Chichin (Phénomènes)
Durée : 1h30
Théâtre 13 – Glacière
Du 23 au 27 novembre 2021CDN le Préau – Vire
Le 5 mars 2022La Batterie – Guyancourt
Le 8 mars 2022Le Pavillon – Romainville
Le 12 mars 2022La Bouche d’air – Nantes
Le 7 avril 2022Salle des fêtes d’Agneaux
Le 20 mai 2022
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