Valérie Dréville incarne impérieusement Geesche, l’héroïne meurtrière et subversive de Liberté à Brême de Rainer Werner Fassbinder dans une mise en scène un peu trop dessinée à gros traits.
Inspirée d’un authentique fait divers qui défraya la chronique en 1831 dans la ville allemande de Brême où une certaine Gottfried empoisonna plus de dix individus appartenant à sa famille proche, la pièce de Fassbinder, qui fut aussi un film télévisé, dépeint un monde extrêmement dur, violent, que son auteur imaginait sans doute être en voie d’extinction. Les meurtres exécutés à la chaîne par son anti-héroïne, en tout point fascinante, se voient comme le moyen d’échapper à la brutalité inouïe dont elle est la victime, de s’extraire des carcans dans lesquels de stupides lois sociales et morales veulent la réduire et l’emprisonner ? Alors, oui, elle donne la mort. Et c’est un carnage. Maris avides et autoritaires, parents despotiques et hyper-conservateurs, enfants piailleurs et grincheux… tous y passent ! Le tableau de chasse est impressionnant. La liberté n’a pas de prix.
Cédric Gourmelon crée au TNB à Rennes, dans le cadre de son festival, sa version de la tragédie de Fassbinder. Sans prétention mais avec maladresse. Son traitement est souvent épais, outré. Il manque de finesse, d’ambivalence, de sensibilité. Pourtant, le spectacle est solide car il possède une immense actrice dans le rôle principal : Valérie Dréville. De Ysé à Médée, la comédienne a campé de nombreux personnages féminins d’une force transgressive incomparable, dotées de passions extrêmes. A la lisière de la folie et de la monstruosité, sa puissante liberté de jeu lui permet d’explorer toutes les facettes du rôle. Elle paraît d’abord un tout petit bout de femme accablée en blouse grise et souliers plats, servant à table une bonne rasade de Schnaps à des bonhommes aux rires gras et grossiers, et recevant coups et blessures pour récompense de son abnégation. Mais rien n’arrête ce personnage qui détone, qui dénote, dans son combat pour l’émancipation.
Agressive, amorale, la tragédie n’est pas plaisante, elle est même dérangeante. Car si le dramaturge et réalisateur allemand mort en 1982 à l’âge de 37 ans, signe une œuvre qui s’inscrit dans une époque, les années 1970, qu’il n’aime rien tant que provoquer, il se fait aussi un visionnaire pour le monde actuel qui voit enfin s’élever des voix déterminées à dénoncer la violence exercée sur les femmes et les dangers qui les menacent. La peinture satirique que fait Fassbinder d’une petite bourgeoisie catholique et patriarcale qui étouffe dans sa bien-pensance hypocrite est bien entendue liée à une société en partie révolue mais l’abominable cruauté qui en découle en matière d’assujettissement arbitraire des êtres apparaît totalement pertinente pour aujourd’hui. En éliminant par nécessité tous les êtres qui l’entourent et qui lui veulent du mal, Geesche refuse, à sa manière, l’ordre établi et le rôle qui lui est conféré. Femme battue, mal aimée, elle revendique sans détour sa totale liberté.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Liberté à Brême
De Rainer Werner Fassbinder
Traduction : Philippe Ivernel
Mise en scène : Cédric Gourmelon
Avec : Valérie Dréville, Gaël Baron, Guillaume Cantillon, Christian Drillaud, Nathalie Kousnetzoff, Adrien Michaux, François Tizon, Gérard Watkins
Scénographie : Mathieu Lorry Dupuy
Costumes : Cidalia Da Costa
Lumières : Marie-Christine Soma
Son : Antoine Pinçon
Régie générale : Eric Corlay
Régie plateau : François Villain
Construction des décors : Ateliers du Théâtre National de Strasbourg
Administration de production : Morgann Cantin
Production déléguée : Réseau Lilas
Coproduction : Théâtre National de Strasbourg, Théâtre National de Bretagne, Théâtre de Lorient – Centre Dramatique National, Comédie de Béthune – Centre Dramatique National, Le Quartz – Scène Nationale de Brest
Avec le soutien de : T2G centre dramatique national de Gennevilliers, le Théâtre Cinéma de Choisy-le-Roi – Scène conventionnée d’intérêt national pour la diversité linguistique et la Spedidam
La pièce Liberté à Brême de Rainer Werner Fassbinder (traduction de Philippe Ivernel) est éditée et représentée par L’Arche, éditeur et agence théâtrale. www.arche-editeur.comDurée : 1h30
Création
du 6 au 9 novembre 2019 – Théâtre National de Bretagne / RennesTournée 2019/2020
20 et 21 novembre 2019 – Le Quartz / Scène Nationale de Brest
5 et 6 décembre 2019 – Le Théâtre de Lorient / CDN
du 28 au 31 janvier 2020 – La Comédie de Béthune / CDN
28 février 2020 – Espace Marcel Carné / St Michel-sur-Orge
du 3 au 11 mars 2020 – Théâtre National de Strasbourg
du 20 au 30 mars 2020 – T2G / CDN de Gennevilliers
du 2 au 4 avril 2020 – Théâtre du Gymnase / Marseille
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