Bryan Polach orchestre un spectacle épidermique autour des violences policières et dirige un quatuor de comédien.nes remarquables d’engagement.
Au centre de la scène, un tapis rouge et rond qui attire immédiatement l’attention. Au centre de l’arène, ce cercle couleur sang suffira à nous entraîner dans bien des lieux, un bar ou un appartement, un coin de ville oubliée, le terrain miné d’une manifestation, une voiture lancée à toute allure… Dans une scénographie épurée jusqu’à l’os, il est le cœur palpitant du jeu, le ring des affrontements et l’écrin des révélations. Zone magnétique qui régit les rapports entre les personnages, les déplacements des comédien.nes, tantôt vide, tantôt vibrant de vie. Point de fuite où convergent sans cesse les allées et venues des interprètes.
A la mise en scène de son propre texte, fiction fortement imprégnée de réel, Bryan Polach a tout misé sur son quatuor d’acteurs et d’actrices solides, physiques et engagés qui embrassent la représentation à bras le corps et portent avec fougue ce récit énigmatique et éclaté. Ici, la parole n’est jamais sage et mesurée, quand bien même elle est bien souvent réflexive mais elle est habitée de colère et s’incarne avec fracas dans les corps tendus, prêts à bondir, sauter ou tomber. Elle bataille, mitraille ses arguments dans des échanges sous haute tension qui tiennent le spectateur en haleine, suspendu aux points de vue contraires qui s’écharpent, aux indignations qui grondent, à la révolte qui couve, à la force de persuasion des comédien.nes.
Fruit d’une longue recherche et de nombreux entretiens menés autant avec des commissaires et officiers de police qu’avec des acteurs sociaux et militants associatifs, 78.2 empoigne le sujet des contrôles d’identité musclés et des violences policières, et le lien étroit et ambivalent entre police de proximité et jeunes des quartiers populaires. En effet, son titre désigne la référence de l’article du code pénal qui définit les conditions des contrôles identitaires et dont un extrait nous est lu en voix off en ouverture du spectacle avant qu’une musique sourde couvre son intelligibilité et nous plonge au beau milieu d’une fête arrosée. In medias res. Là où le récit prend sa source. La nuit et ses heures insolubles dans le jour, la nuit et ses cauchemars qui reviennent nous hanter, la nuit et ses rencontres inattendues, sera le terrain récurrent de cette pièce étonnante et épileptique qui avance en reculant parfois au gré de souvenirs, réminiscences ou flashbacks pour mieux nous conduire à sa résolution finale.
Entre saillies d’humour et dialogues percutants, entre joutes verbales frénétiques et théâtre gestuel à la lisière de la danse, 78.2 a ce mérite immense de ne pas prendre parti sans pour autant rester neutre et froid. La violence est traitée sur un mode quasiment chorégraphique qui ne l’édulcore pas, les corps s’empoignent, se jettent dans la lutte ou dans la douleur, courent, s’enfuient sur les violons effrénés des Quatre Saisons de Vivaldi, des projectiles tombent des cintres et s’écrasent au sol dans un bruit fracassant, le plateau est à feu et à sang dans une scène de manif puissante. La fracture sociale n’est pas une illusion, c’est une réalité qui nous explose au visage. Sans pour autant être du théâtre documentaire, 78.2 aborde frontalement des sujets brûlants et n’en simplifie pas les enjeux. La police n’est pas stigmatisée dans un rôle de « méchant » et la jeunesse délaissée a bien des raisons d’avoir la haine. Chaque camp est entendu, chacun en prend pour son grade et les échanges sont si poignants que des frissons nous gagnent.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
78.2
mise en scène et écriture Bryan Polach / collaboration artistique Karine Sahler / assistante à la mise en scène Giuseppina Comito / Création sonore : Didier Léglise / Scénographie : Chantal De La Coste / avec Thomas Badinot, Laurent Evuort Orlandi, Emilie Chertier, Juliette Navis en alternance avec Emilie Incerti-FormentiniLumières Laurent Vergnaud
Un texte lauréat de l’aide à l’écriture Beaumarchais-SACD et de l’aide à la création ARTCENA (2020)
Production : Cie Alaska / coproductions (et résidences) : CDNT – Théâtre Olympia, Maison de la Culture de Bourges, EPCC Issoudun, Le Collectif 12, La Carrosserie Mesnier, L’atelier à spectacles, Théâtre de la Tête Noire, Communauté de communes Terres du Haut Berry / soutiens er résidences : CDN Orléans, Échangeur, Le Centquatre-Paris, Emmetrop, Le Grand Parquet- Théâtre Paris Villette, Théâtre de Belleville, La Pratique, La Fontaine aux Images, Nouveau Gare au Théâtre / avec le soutien de la DRAC Centre-Val-de Loire (aide à la résidence et aide à la création) et de la Région Centre-Val-de-Loire (PPS, aide au projet) / le texte a reçu l’aide à l’écriture de l’association Beaumarchais-SACD et l’aide à la création ARTCENA / ce projet a bénéficié d’une aide exceptionnelle de la part de l’état – Ministère de la culture -au titre du Plan de relance pour le soutien à l’emploi artistique et culturel / chargée de production Éléonore Prévost
Durée 1h20
L’Echangeur – Bagnolet
du 22 au 26 septembre 2023
20H30 sauf samedi & dimanche
14H30 + 20H30 vendredi
18H00 samedi
Relâche dimanche
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