Au Festival Montpellier danse, Ohad Naharin a fait frémir la virtuosité de la Batsheva, en déployant 2019, une pièce à l’intensité perturbante sur la culture israélienne qui oscille entre sensualité et violence.
Très attendue à Montpellier danse, la célèbre compagnie guidée par Ohad Naharin livrait quatorze représentations intimistes, dont deux chaque soir. Sur la scène d’une petite salle du Corum – surprenant pour une compagnie si prestigieuse – un grand danseur vêtu de noir mime les consignes à respecter pendant le spectacle façon steward, au son de la voix off en français, anglais et hébreu. Alors qu’il s’apprête à quitter la scène, il arrache le tissu qui faisait office de fonds de scène, révélant devant nous, coup de théâtre, une autre rangée de spectatrices et spectateurs : un espace bi-frontal – imaginé par Gadi Tzachor – semblable à un podium de défilé de mode. Les bras ouverts, comme pour embrasser entièreté de l’espace, les interprètes font leur entrée au fur et à mesure en marchant fièrement. On remarque tout de suite des corps qui s’affranchissent davantage de la norme qu’il est de coutume sur les plateaux de danse contemporaine : plusieurs interprètes racisés, des danseurs en robe, certaines danseuses laissent leur pilosité apparente, qui fait écho à la volonté de transcrire la diversité des identités en Israël, annoncé dans la note d’intention du chorégraphe. Car dans 2019, que le chorégraphe décrit comme un « produit du terroir », c’est le territoire d’Israël et comment il imprègne les corps qui est au centre de la création.
Intensité sans concession
Le ton est donné par des musiques israéliennes et arabes, à la gaité lancinante, qui rythment plusieurs tableaux qui s’enchaînent avec une fluidité. Les gestes sont souvent sensuels, félins, mais aussi saccadés accompagné par des riffs métal et parfois acrobatiques, en talons, exécutant des figures qui rappellent les ball voguing. C’est la marche qui est toutefois le liant de cette pièce : des grands pas qui embrassent la scène, comme des petits pas sur place, qui tracent des lignes courbes dans l’espace, dessinent une multitude de trajectoires. Leur danse est sans concession, à la fois violente, jouissante, douce, dépliant une palette d’émotions humaines, résultat probablement de la technique Gaga conçu par Ohad Naharin, un entraînement du danseur qui amène au plus près de son intériorité. Les danseuses et danseurs se livrent tout entier, par leurs gestes et leurs regards, allant jusqu’à s’allonger sur le public. Leur intensité est contagieuse, troublante, elle nous accroche, quasi intrusive, si bien qu’on se demande comment les interprètes sont capables de donner autant d’eux-mêmes deux fois chaque soir. Une chose est sûre cette poésie laisse des traces, quasi indélébiles.
Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
2019
Chorégraphie : Ohad Naharin
Avec : Etay Axelrod, Billy Barry, Yael Ben Ezer, Matan Cohen, Ben Green, Chiaki Horita, Chun Woong Kim, Shir Levy, Ohad Mazor, Eri Nakamura, Igor Ptashenchuk, Nitzan Ressler, Kyle Scheurich, Maayan Sheinfeld, Yoni (Yonatan) Simon, Hani Sirkis, Amalia Smith, Imre Van Opstal
Lumière : Avi Yona Bueno (Bambi) / Son : David (Dudi) Bell
Costumes, stylisme : Eri Nakamura / Bijoux : Liron Etzion, Keren Wolf
Textes : Psaumes, Yarmi Kadoshi, Hanoch Levin, Ehud Manor
Décors : Gadi Tzachor / Musique : Uzi Rosenblat (accordéon), Noa Ayali (violoncelle), “Card Games” by Iarmi Kadoshi interprétée par Moshe Cohen, “Locust Star” par Neurosis, “Boukyou” par Hako Yamasaki, “Hine ma tov umanaim” par Moshe Yakobson, “Bashana Haba`a” – Ehud Manor/Nurit Hirsh, “Ana le Habibi” par Rahbani Brothers/Fairuz, “Saibai” par Hako Yamasaki, “Maqlooba” par V.F.M. style, “You, Me and the Next War” – Hanoch Levin/Maxim Waratt, “LaKova Sheli” – folk song, “Caspian” By Asadi
Conseil musical, mastering : Nadav Barnea
Assistant d’Ohad Naharin et Eri Nakamura : Ariel Cohen
Ce spectacle est dédié à Eliav Naharin (1927-2018)
Production : Batsheva Dance Company
Coproduction : Festival Montpellier Danse 2022
Avec le soutien du fonds pour les nouveaux spectacles de la Batsheva en Israël, et des amis de la Batsheva en Israël et à l’étranger
Avec le soutien de la Chleck Family Foundation (Boston),
Zita and Mark Bernstein Family Foundation (Winnipeg),
Robert de Rothschild (New York),
Batsheva’s New Works Fund,
the American Friends of Batsheva New Works Fund,
et plusieurs amis Israéliens et internationaux.Durée: 1h15
Montpellier Danse
Vendredi 24, samedi 25, dimanche 26, mardi 28, mercredi 29, jeudi 30 juin et vendredi 1er juillet à 18h et 20h30
Opéra Berlioz / Le Corum
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !