Au Chêne Noir, la comédienne et metteuse en scène offre un seul en scène où elle paraît davantage préoccupée par sa prestation que par la figure de Dorothy Parker qu’elle entendait incarner.
Sur le plateau du Théâtre du Chêne Noir, Zabou Breitman veut d’emblée se montrer en patronne. Unique et omnipotente. Conçu, écrit et interprété par elle, son seul en scène, Dorothy, est aussi installé par ses soins. Alors, pendant que les spectateurs prennent place dans les gradins, la comédienne, metteuse en scène, et désormais autrice, s’affaire, tourne un projecteur par-ci, bouge une table par-là, déroule un tapis, fait mine de régler quelques lumières. Au-delà du subterfuge théâtral, on reconnaît la volonté de faire passer un message, d’imprimer une marque, de dire, par la bande, que, oui, tout tournera bien autour de sa personne, qu’un one-woman-show se prépare, quitte à reléguer, en passant, Dorothy Parker au second plan.
Largement méconnue sous nos latitudes, l’autrice américaine ne manque pourtant ni d’intérêt, ni de surface, et surtout pas d’esprit. Surnommée « The Wit » (la futée), originaire du New Jersey, elle est un couteau-suisse comme on n’en fait plus, à la fois pianiste, critique littéraire, pour Vogue, puis Vanity Fair, poétesse, nouvelliste, reconnue par une bonne partie de l’intelligentsia américaine de l’immédiat-après Grande Guerre alors qu’elle a à peine 30 ans. Drôle et caustique, surtout lorsqu’il s’agit de ses contemporains, sur lesquels elle porte un regard sans concession et qu’elle étrille de sa plume acérée, elle est de ces comètes qui, une fois passées leur apogée, s’abîment peu à peu dans la noirceur du firmament. Exceptées quelques collaborations à différents scénarios dans les années 1930-1940 – pour La Vipère de William Wyler ou Cinquième Colonne d’Alfred Hitchcock –, elle disparaît rapidement des radars, jusqu’à sa mort, en 1967, dans sa chambre d’hôtel, avec son chien et une bouteille d’alcool pour seule compagnie.
De cette femme abîmée par la vie, aussi amusante dans ses traits d’esprit que tragique dans sa vie intime – elle tenta de se suicider au moins à trois reprises –, Zabou Breitman ne laisse entrevoir qu’une infime partie. D’abord en se plaçant elle-même, et d’entrée de jeu, à l’avant-scène, lorsqu’elle raconte – et on peut alors le concevoir tant le moment s’affirme comme le plus réussi – le parcours chaotique de son urne funéraire qui passa, plus de cinquante ans durant, de main en main, avant de trouver refuge, à la fin de l’année 2020, dans le cimetière de Woodlawn, situé dans le Bronx. Sauf que, lorsque vient le moment de l’incarnation, l’autrice américaine ne surgit pas davantage et semble écraser par le cabotinage forcé d’une comédienne plus préoccupée par sa prestation que par le rôle qu’elle devrait incarner.
Surtout, l’ensemble de ce seul en scène s’enferme dans une logique de spectacle à sketchs où les nouvelles de Dorothy Parker sont des prétextes pour s’adonner à des micro-scènes de vie, toutes plus anecdotiques les unes que les autres. Au-delà de la faiblesse dramaturgique intrinsèque d’un tel procédé, il impose un rythme répétitif et lassant qui, rapidement, se transforme en carcan théâtral. D’autant que, plutôt que d’adapter son texte à la scène, Zabou Breitman adapte la scène à son texte. Dans un style très vieux théâtre, elle incarne plusieurs personnages à la fois, et saute de rôle en rôle en tournant simplement la tête sur une banquette. De Dorothy Parker, alors, il n’émerge rien, ou si peu, et ceux qui ne la connaissaient pas à l’entrée, ne le connaîtront, malheureusement pour elle et pour eux, pas davantage à la sortie.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Dorothy
Conception, écriture et interprétation Zabou Breitman
D’après des nouvelles de Dorothy Parker
Création lumière Stéphanie Daniel
Création son Yoann Blanchard
Costumes Zabou Breitman et Bruno Fatalot
Accessoires Amina Rezig
Assistante à la mise en scène Laura Monfort
Chorégraphie Emma Kate NelsonProduction Cabotine – Compagnie Zabou Breitman, Théâtre de la Porte Saint-Martin
Coproduction Maison de la Culture d’Amiens, Anthéa – Théâtre d’Antibes
Avec le soutien de la Drac Ile de France
Coréalisation Théâtre du Chêne NoirDurée : 1h15
Festival d’Avignon Off 2021
Théâtre du Chêne Noir
du 7 au 31 juillet, relâches les lundis 12, 19 et 26 juilletThéâtre de la Porte Saint-Martin, Paris
du 3 septembre au 24 octobre
Critique très juste , beaucoup de cabotinage , et trop peu sur Dorothy Parker . On reste frustré !
ça fait déjà un moment que Zabou Breitman s’enfonce dans du vieux théâtre sa mise en scène d’un Feydeau il n’y a pas longtemps était poussiéreux au possible. Pourtant pleine de potentiel elle a gâché son grand talent d’abord au cinoche puis s’est tournée vers le théâtre privé majoritairement ce qui ne l’a pas aidé. Choisir Dorothée Parker était juste finaud parce qu’elle pense que les écrits dans tous les sens de la romancière lui iraient mieux qu’une vraie partition écrite par un écrivain de théâtre. Le théâtre on dirait qu’elle l’a délaissé qu’elle s’en préoccupe à peine ou juste par habitude parce qu’elle pense connaître son métier. Mais à force de ne rien renouveler elle a plutôt abîmé ses performances et son tempérament.