Pour sa nouvelle création, la metteuse en scène et artiste associée à la Maison de la culture d’Amiens Zabou Breitman adapte sous forme de comédie musicale le célèbre roman de Raymond Queneau.
Zazie dans le métro, c’est par le roman de l’auteur, dramaturge, poète et cofondateur de l’Oulipo Raymond Queneau (1903-1976) que certaines et certains l’ont découvert. Pour d’autres, c’est par l’adaptation cinématographique qu’en a livré le cinéaste Louis Malle en 1960 (une année après la parution de l’ouvrage) que Zazie a fait irruption dans leur vie. Si le livre a constitué un succès populaire, le film a amplifié la postérité de l’histoire de cette gamine confiée à son oncle deux nuits et un jour par sa mère – cette dernière en profitant, elle, pour retrouver son amant. L’adaptant sous la forme d’une comédie musicale, la metteuse en scène Zabou Breitman joue autant des proximités avec le livre qu’avec le film, tout en creusant les spécificités induites par la forme scénique.
Réunissant musiciens et comédiens-chanteurs au plateau, Zabou Breitman retrouve le compositeur Reinhardt Wagner, avec qui elle avait collaboré sur Poil de Carotte en 2019, et la mise en scène comme la musique déploient un univers lorgnant largement vers les années 60. Il y a initialement quelque chose de charmant à suivre et (re)découvrir l’histoire de cet enfant qui ne prendra pas le métro – fermé pour grève –, mais va traverser Paris, fuguer à qui mieux mieux, croiser des adultes pas forcément recommandables, et désarçonner tout le monde par son langage de charretier. Ce charme aux accents un peu désuets se niche, pour partie, dans le maniement des codes classiques de la comédie musicale à l’américaine. Le récit du parcours initiatique de Zazie se déplie, ainsi, dans une alternance sage de gags, de chansons – dont les compositions embrassent le jazz, le tango, la valse, etc. – et de quelques danses. Du charme il y en a, encore, dans la scénographie : celle-ci ménage la présence des musiciens sur scène (situés en hauteur dans des structures métalliques en fond de scène) –, qui participent parfois par leurs réactions à l’histoire – ; et convoque des éléments simples (un astucieux tapis roulant, quelques meubles) et des toiles peintes (représentant un plan de Paris stylisé ou un mur de papiers peints avant le plan de métro final). Autant d’artifices scéniques modestes, qui en faisant fi des nouvelles technologies, inscrivent le spectacle dans une facture volontairement plus ancienne.
Au-delà de la légèreté séduisante et divertissante, de la cocasserie et de la stylisation sixties – autant d’éléments que l’on retrouve dans cette comédie musicale -, ce qui fonde le récit de Raymond Queneau est son insolence, sa subversion et son bouleversement des conventions. Celles-ci s’incarnent dans le roman par une langue à l’inventivité stylistique et poétique forte ; par le goût pour les ruptures produites par l’entrechoquement du français classique, de l’argot, des jeux de mots, des hapax (citons la formule « Doukipudonktan », où une phrase devient en une contraction un seul mot appuyant les sonorités) ; comme dans le retournement de toutes choses. Et tandis que les sites touristiques parisiens visités sont échangés, inversés, certains personnages se travestissent et affirment une fluidité dans le genre.
À cet égard, la personnalité de Zazie est également profondément transgressive. Son langage peu châtié vient révéler la violence de ce monde d’adultes à l’égard des enfants. La séquence « Papouilles zosées » où elle raconte les tentatives d’attouchement de son père, devenant dans le spectacle une chanson – qui en étant interprétée à l’avant-scène par Alexandra Datman, est d’autant plus percutante – arrache l’histoire de Zazie au seul conte initiatique burlesque. En cela, la création de Zabou Breitman et de son équipe est pertinente par sa façon de ne pas éluder – comme le faisait le film de Louis Malle – tous les dialogues les plus crus sur le sexe et les violences subies par les enfants. Le spectacle joue ainsi avec intelligence sur un travail de citation de l’univers du film (costumes, codes du dessin animé, papier peint lacéré, etc.), cette citation favorisant au passage l’adhésion du public, qu’il réintroduit ce qui était sous-entendu par l’adaptation de Louis Malle (l’omniprésence de la prédation sexuelle).
Mais paradoxalement, la charge critique de ce geste est atténué par la forme elle-même de la comédie musicale. L’atmosphère surannée de l’ensemble, la stylisation à la limite du vieillot des costumes, la douceur de la création lumières, et même jusqu’aux compositions très lisses de Reinhardt Wagner, tout concourt progressivement à pasteuriser le propos. Et la direction d’acteurs un peu flottante en ces premières représentations ne permet pas pour l’instant de donner plus de caractère et d’intensité à l’ensemble. Si l’on pressent bien les possibles à venir en termes d’amplitude de jeu chez l’équipe de comédiens-chanteurs réunie, seuls les deux interprètes respectifs de Zazie et de son oncle Gabriel, Alexandra Datman et Franck Vincent, tirent de bout en bout pour l’instant leur épingle du jeu. Alors, force est donc de reconnaître qu’en dépit de sa belle facture, ce Zazie dans le métro se maintient dans une forme sans aspérités, étouffée par sa trop grande nuance comme par sa recherche de joliesse. Souhaitons qu’au gré de la longue tournée qui s’annonce le spectacle quitte un peu les rivages de la séduction pour (ré)affirmer la vivacité subversive et le refus des conventions propres à l’histoire de Queneau. Et que le choix des références au cabaret et au music-hall permettent à l’équipe de déployer et d’affirmer un univers plus fantasque, énergique, libre et inattendu. Comme Zazie !
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
Zazie dans le métro
De Raymond Queneau
Adaptation, scénographie et mise en scène Zabou BreitmanAvec Alexandra Datman, Franck Vincent, Gilles Vajou, Fabrice Pillet, Jean Fürst, Delphine Gardin, Florence Pelly et Fred Fall (contrebasse, basse électrique), Ghislain Hervet (clarinettes, sax baryton), Ambre Tamagna (violoncelle), Maritsa Ney (violon), Scott Taylor (trompette, accordéon, flûte à bec), Nicholas Thomas (percussions, vibraphone, piano électrique)
Musique originale Reinhardt Wagner
Assistanat orchestration Matthieu Roy
Assistanat mise en scène César Duminil
Lumières Stéphanie Daniel
Son Unisson Design
Costumes Agnès Falque
Perruques Cécile KretschmarProduction Maison de la Culture d’Amiens – Pôle européen de création et de production.
Coproduction Cie Cabotine, MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Théâtre de Liège, DC&J Création, TNP Théâtre National Populaire – Villeurbanne, La Coursive – Scène nationale La Rochelle, Scène nationale du Sud-Aquitain, anthéa, Antipolis Théâtre d’Antibes, L’Azimut – Antony – Châtenay-Malabry, Le Volcan -Scène nationale du Havre, Comédie de Picardie, Equilibre-Nuithonie-Fribourg.
Soutiens Tax Shelter du Gouvernement Fédéral de Belgique, Inver Tax Shelter, Club des Entreprises Partenaires du Théâtre de Liège.
Le roman Zazie dans le métro de Raymond Queneau est publié aux éditions Gallimard. Soutien à la création de la SACD / Fonds de création Lyrique.
Durée 1h30
Création à la Maison de la Culture d’Amiens
du 12 au 15 mars 2024MC93 Bobigny
du 20 au 23 mars 2024
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !