« Yes Daddy », le huis clos aride et sombre de Bashar Murkus et Khulood Basel
Les deux artistes palestiniens referment la 79e édition du Festival d’Avignon avec Yes Daddy, un geste ténébreux et labyrinthique.
Déjà présents en 2021 avec The Museum et en 2022 avec Milk, Bashar Murkus et Khulood Basel reviennent au Festival d’Avignon avec Yes Daddy, un huis clos sombre qui explore les violences patriarcales entre deux générations. Parmi l’une des rares pièces de la programmation de cette 79e édition entièrement en arabe, le spectacle a été créé en juillet 2024 au Khashabi Theatre, lieu aujourd’hui fermé. Un projet unique imaginé à Haïfa par les deux artistes et leur collectif, qui travaille depuis 2011 à la survie d’un théâtre palestinien entièrement indépendant, refusant toute subvention publique de l’État israélien.
Salué pour ses métaphores puissantes, ses scénographies épurées et ses gestes esthétiques tranchants, le collectif pousse ici encore plus loin l’énigme de la narration, quitte à nous perdre en cours de route. Après un prologue qui introduit le spectateur vers la parabole et le conte, un procédé cher au Khashabi Theatre, on trouve, dans un appartement vide aux murs blancs, un vieux monsieur en fauteuil roulant. Chaque geste lui semble pénible, et sa solitude profonde. On frappe à la porte et, déjà, l’imbroglio du mensonge se met en marche. Un jeune homme, Amir, se présente comme un escort, mais, face à lui, le vieil homme semble avoir d’importants troubles de la mémoire et le confond avec son fils.
Débute alors une nuit de rêves et de cauchemars, où chacun des deux va projeter sur l’autre l’ensemble de ses fantasmes, de ses hontes et de ses traumatismes. De l’acceptation de l’homosexualité aux violences intra-familiales, des relations dysfonctionnelles aux douceurs du soin, les liens entre les deux personnages vont se tendre et se tordre, chaque scène annulant la vérité de la précédente. Un à un, les murs de l’appartement tombent, jusqu’à atteindre l’acmé dramatique où la vulnérabilité du vieil homme rejoint celle d’un nouveau-né, comme un endroit de synthèse des violences subies. Un lieu de convergence qui permet, par la suite, la reconstruction d’un semblant de nouveau foyer.
Au-delà d’un travail sur la solitude, on peut déceler dans Yes Daddy l’exploration des enjeux de l’instrumentalisation de la mémoire comme outil de possession du passé et comme manière de flouter les frontières du souvenir, voire de la vérité. Mais la finesse du travail de Bashar Murkus et Khulood Basel réside aussi dans le fait de laisser une fin complètement ouverte à toute interprétation et d’offrir un conte sur lequel le public peut apposer sa propre lecture. À travers une oeuvre complexe, qui se perd un peu elle-même, Bashar Murkus et Khulood Basel nous plongent dans les pérégrinations identitaires de deux générations, évoquant avec douleur la violence des relations entre hommes. Mais le collectif ne semble pas ici avoir trouvé la formule des grandes métaphores puissantes dont il a le secret – les conditions de création du spectacle constituent peut-être un élément explicatif –, nous plaçant face à un geste aride et urgent, inconfortable, mais peu lisible.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
Yes Daddy
Texte et mise en scène Bashar Murkus
Dramaturgie et production Khulood Basel
Avec Anan Abu Jabir, Makram J. Khoury
Scénographie Majdala Khoury
Lumière Muaz Al Jubeh
Direction technique Moody Kablawi
Machinerie Basil Zahran
Assistanat à la mise en scène Nancy Mkaabal
Traduction française et anglaise pour le surtitrage Lore BaetenProduction Khashabi Theatre
Avec le soutien de A. M. Qattan Foundation, Afac Arab Fund for Art and CultureDurée : 1h15
Festival d’Avignon, Théâtre Benoît-XII
du 24 au 26 juillet 2025, à 18h
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