Le chorégraphe américain nous plonge dans une synthèse de ses recherches grâce à une brève pièce expérimentale. Deux performeurs s’affrontent au coeur d’une arène, dans une libre adaptation de la pièce Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès projetée dans le Studio Asbestos du chorégraphe japonais Tatsumi Hijikata, pionnier du butō.
Les pièces de Trajal Harrell ressemblent toujours à une invitation. Avant le début du spectacle, l’artiste se permet souvent un mot de bienvenue, prenant le rôle du maître de maison – c’était le cas dans Köln Concert (2022) ou The Romeo (2023) – et brouillant ainsi les limites. Avec Welcome to Asbestos Hall, il convie le public en petit comité (une trentaine de personnes) à ce qui est présenté comme une expérience, dans un nouvel espace de résidence bruxellois, La Verrière. Dans cette performance intense aux multiples références, un condensé de l’esthétique du chorégraphe transparaît.
Assis sur des petits tabourets gris autour de l’espace scénique circulaire, les spectatrices et spectateurs sont entourés de portants où sont suspendus des costumes façon fripe. Installé parmi le public, Trajal Harrell se lève et rappelle ce qui est inscrit sur la feuille de salle : « Ce n’est pas une première, c’est une anti-première. Ce n’est pas une création, c’est un processus artistique en cours d’élaboration. Vous êtes libres d’applaudir, ou pas ». Nous voilà prévenus.
Deux danseurs entrent dans l’espace central, suivant soigneusement des lignes de scotch coloré sur le sol. Face à face, ils se saluent. On croirait assister au rituel qui précède un combat. Sommes-nous dans un dojo ou dans une arène ? Une feuille de papier circule dans la salle, où est inscrit au stylo à bille : « Cette pièce est librement inspirée de la pièce Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès. » Les deux personnages seraient-ils donc, comme dans la pièce de théâtre, le dealer et son client ? Ici, les tensions qui résultent de cette transaction émanent seulement des corps. Ils se transforment peu à peu au rythme d’une dramaturgie presque imperceptible. Ils ondulent subtilement, se tordent, se désirent et s’affrontent. Leurs visages grimacent. Ils semblent affectés l’un par l’autre, par des émotions intenses, ou peut-être par des présences invisibles ?
Une nouvelle fois, les références se bousculent chez Trajal Harrell. La danse fait écho à l’intense intériorité du butō, bien connue du chorégraphe. La performance tire d’ailleurs son nom du Studio Asbestos du chorégraphe japonais Tatsumi Hijikata, fondateur de la danse butō, lieu de vie et de travail des interprètes, qui gagnaient notamment leur vie comme danseuses et danseurs érotiques. Pour clore le cycle que Trajal Harrell a consacré à ce chorégraphe – amorcé en 2013, il comprend notamment le solo Sister or He Buried the Body et Caen Amour –, il nous invite à fictionner ce lieu de danse, comme si nous y étions conviés. Ses recherches autour du voguing surgissent aussi, alors que les performeurs marchent en rond avec détermination, sur la pointe des pieds façon top model sur un catwalk. En une trentaine de minutes, c’est un condensé de la gestuelle et des recherches de Trajal Harrel qui se révèle. Serait-ce aussi une manière de dire au revoir, discrètement, à une figure qui habite son oeuvre depuis une dizaine d’années ? Pas sûr que son public soit prêt à laisser partir le fantôme d’Hijikata si facilement.
Belinda Mathieu – www. sceneweb.fr
Welcome to Asbestos Hall
Chorégraphie, scénographie, création des costumes et sonore Trajal Harrell
Avec New Kyd, Perle Palombe, Stephen Thompson, Songhay Toldon, Challenge Gumbodete, Trajal Harrell, Vânia Doutel Vaz
Création lumières Stéfane Perraud, Trajal Harrell
Dramaturgie Sara Jansen
Direction technique et son Santiago Latorre
Costumière en cheffe Sally HeardProduction Zürich Dance Ensemble
Coproduction Kunstenfestivaldesarts, Holland Festival, Festival d’Automne à Paris, Tanzquartier Wien
Avec le soutien de Pro HelvetiaDurée : 30 minutes
Vu en mai 2025 à La Verrière, Anderlecht (Belgique), dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts
Holland Festival, Likeminds, Amsterdam (Pays-Bas)
du 12 au 29 juin
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